
Quand on se balade dans Marseille et qu’on s’arrête au niveau du fameux Vélodrome, il est dur d’imaginer que, de 1899 à 1929, le lieu accueillait l’usine du constructeur marseillais Turcat-Méry ! Pourtant, dans la région, aucun passionné n’a oublié la fameuse marque automobile Turcat-Méry ainsi que ses fondateurs, Léon Turcat et Simon Méry. Il faut dire que “Toute Une Clientèle Recherchant le Confortable en Automobile, Tout un Monde Elégant et Regardant à l’économie Y sont venus… à la Turcat-Méry” ! Une phrase choc comme toutes les réclames de cette société qui se disait le constructeur des “voitures des connaisseurs“. Après tout, faisaient-ils pas partie des premiers pionniers de l’automobile française ? Des visionnaires qui ont cru en la voiture bien avant ses grandes heures ? Pour les Marseillais, c’est la plus grande marque du monde ! Oui, Môssieu ! Et pour les 120 ans de cette marque pionnière, ABSOLUTELY CARS vous propose de découvrir la grande histoire de Turcat-Méry et son influence sur l’une des plus célèbres marques françaises, De Dietrich, Lorraine-Dietrich et Lorraine.

La genèse de la marque automobile Turcat-Méry

Léon Turcat (1874-1965) et Simon Méry (1874-1965), respectivement nouvellement diplômés de l’École supérieure de commerce de Marseille et de l’École d’ingénieurs de Marseille, désirèrent devenir constructeur d’automobiles. Tout en travaillant, ils réalisèrent des prototypes entre 1897 et 1900 : un premier avec un 4 cylindres horizontal et un second avec un 4 cylindres vertical accouplé à une boîte à vitesses extrêmement moderne et malheureusement onéreuse à fabriquer, cinq rapports pour la marche avant et deux pour la marche arrière. Après avoir vendu quelques exemplaires, ils fondèrent « Les ateliers de constructions d’automobiles Turcat, Méry et Cie » en mai 1899 au 17, boulevard Michelet à Marseille. En 1901, commença la fabrication régulière de la Turcat-Méry Type A, une 16/20cv équipée d’un 4 cylindres de 2614cm³ atteignant 80km/h sous sa forme la plus dénudée, dénommée Turcat-Méry Type B en 1902, Turcat-Méry Type C en 1904. En complément, une bicylindre de 8/10cv (1307cm³), conservant les mêmes pistons et bielles, fut construite en 1901. Cette dernière était équipée d’une boîte à vitesses 3 rapports, les 4 cylindres étant munies d’une boîte à vitesses 4 rapports. Ces voitures étaient déjà équipées du décalage de l’admission qui permettait d’obtenir un meilleur ralenti, d’un allumage électrique alimenté depuis une batterie en lieu et place de brûleurs avec tubes de platine. Elles impressionnèrent le public et les industriels lors de leurs présentations au Salon de l’automobile de Paris de 1901 par leurs qualités de fabrication.
Le temps des alliances : l’association entre Turcat-Méry et De Dietrich

Emil Jellinek (1853-1918), le plus important concessionnaire de la Daimler-Motoren-Gesellschaft, montra à Léon Turcat un nouveau dispositif d’allumage qui se présentait sous la forme d’une boîte cylindrique en bronze d’où sortait d’un côté, un axe avec une extrémité conique pour recevoir un organe d’entraînement et de l’autre, une borne électrique isolée. Léon Turcat décela un axe d’amélioration. N’étant pas mécanicien, Emil Jellinek invita Robert Bosch (1861-1942) sur la Côte d’Azur pour analyser la solution préconisée. Ce dernier améliora son invention et livra des magnétos à la société marseillaise selon un accord établi et avantageux.
Ainsi équipées, les Turcat-Méry étaient séduisantes. Eugène-Dominique de Dietrich (1844-1918), important industriel du monde ferroviaire et habitant à Reichshoffen, possédait deux usines implantées à Niederbronn-les-Bains et Lunéville. Il était secondé depuis 1890 par ses neveux, Eugène de Turckheim (1865-1958) et Adrien de Turckheim (1866-1948). La firme possédait une nouvelle branche d’activité depuis 1897 : la construction d’automobiles. La famille était à la recherche de compétences extérieures. Adrien de Turckheim proposa à Léon Turcat et Simon Méry de s’installer à Lunéville tout en conservant l’usine de Marseille qui fut confiée à Louis Méry, le frère de Simon. Rapidement, nos deux compères habitèrent à Neuilly-sur-Seine à côté d’une concession qui rencontra un franc succès. La collaboration entre les deux marques dura 10 ans, entre 1902 et 1912, l’accord portant sur une rémunération de 5% du prix sur chaque véhicule vendu.
La promotion grâce à la compétition
Eugène-Dominique de Dietrich et Adrien de Turckheim assuraient la promotion de leur marque en participant à des courses. En 1903, Turcat-Méry recruta le Marseillais Henri Rougier (1876-1956). En 1905, la branche automobile de De Dietrich devint indépendante et prit comme dénomination Lorraine-Dietrich. Les coureurs engagés étaient Fernand Gabriel (1878-1943), Marc Sorel et Arthur Duray (1882-1954).




Les expériences de Léon Turcat et Simon Méry
Grâce aux succès commerciaux des deux marques, Turcat-Méry et Lorraine-Dietrich, les années comprises entre 1905 et 1908 furent consacrées à de nouvelles expériences pour répondre à des commandes spéciales. Ainsi furent proposées des voitures munies de 6 roues. La plus célèbre fut celle du Baron von Eckhardstein de 1908 exploitant un empattement de 3,8m, équipée d’un lavabo en argent avec eau chaude et froide, un éclairage, un chauffage électrique, une cuisine à l’arrière, son prix étant de 100000 francs-or. En 1907, une 6 cylindres classique fut lancée. Malheureusement, son moteur n’était pas fiable par manque de rigidité et cette voiture fut très rapidement retirée du marché.




Les voitures Turcat-Méry fabriquées en série
Les voitures Turcat-Méry produites en série étaient des 4 cylindres. La cadence de production moyenne de l’usine de Marseille, entre 1904 et 1914, était de 300 automobiles par an. La Première Guerre mondiale stoppa net cet incroyable succès et redistribua les cartes. Les sociétés qui construisirent des moteurs d’avions bénéficièrent d’un capital humain considérable. Mais Turcat-Méry ne fabriqua que des camions et des obus. En 1919, les approvisionnements en matières premières et les transports depuis le Nord-Est de la France vers Marseille étaient calamiteux ce qui engendra une diminution drastique du chiffre d’affaires de l’entreprise. En 1921, la Société Marseillaise de Crédit se porta acquéreur et transforma l’entreprise en société anonyme. Léon Turcat et Simon Méry devinrent de simples employés, puis furent rapidement congédiés. En 1924, Arthur Provenzal, agent et concessionnaire automobile, acheta la société et la rebaptisa « Société anonyme des ateliers de construction automobiles Turcat-Méry ». Il nomma Louis Mouren au poste de directeur. La cigale orna les bouchons des radiateurs et 17 victoires s’ajoutèrent au palmarès en 1925. Mais la fabrication artisanale ne permettait pas une réduction des coûts. Les modèles Turcat-Méry VG et Turcat-Méry VG Sport, disponibles de 1926 à 1928, furent le baroud d’honneur avec une magnifique distribution réalisée à l’aide d’un arbre à cames en tête. Pour réduire les coûts de fabrication, de nouveaux moteurs introduits en 1927 furent fournis par les constructeurs CIME (boîte à vitesses 3 rapports) et SCAP (boîte à vitesses 4 rapports). En 1929, l’usine de Marseille fut placée en liquidation judicaire. Elle fut détruite pour laisser place au Stade Vélodrome, la première pierre étant posée le 28 avril 1935 par le Docteur Georges Ribot, Maire de Marseille. La production cumulée de Turcat-Méry, entre 1919 et 1929, ne dépassa pas 1000 exemplaires, soit environ 100 automobiles par an.




C’est la plus grande marque du monde avant la Première Guerre mondiale et ce n’est pas une galéjade !











L’héritage de Turcat-Méry : les automobiles De Dietrich, Lorraine-Dietrich et Lorraine
Originellement, les forges implantées à Jaegerthal, crées en 1602, appartenaient à la famille Jaeger et furent achetées par la famille Dietrich en 1684. Elles furent déplacées à Niederbronn-les-Bains en 1767, la famille étant anoblie en 1761. Les chemins de fer offrirent un débouché commercial très important. De 1844 à 1848, des investissements importants furent engagés pour fabriquer des wagons. D’autres constructions ferroviaires suivirent : les ponts métalliques, les grues, les plaques tournantes, la signalisation… Seule la proximité de deux puissants concurrents (André Koechlin et Cie à Mulhouse et Etablissement de Construction Mécanique de Graffenstaden) bloqua la production de locomotives. Les ateliers de Lunéville naquirent des conséquences du traité de Francfort de 1871, l’Alsace-Moselle devenant prussienne. Ils ouvrirent en 1879 pour poursuivre les livraisons aux compagnies de chemin de fer françaises, prirent le nom de « Société de Dietrich et Compagnie de Lunéville », furent dirigés par le baron Eugène de Dietrich (1844-1918), secondé depuis 1890 par ses neveux, Eugène de Turckheim (1865-1958) et Adrien de Turckheim (1866-1948). En 1897, les premières automobiles furent fabriquées dans les deux usines ; à partir de 1904, seulement dans celle de Lunéville qui prit le nom de « Société Lorraine des anciens établissements de Dietrich et Cie de Lunéville », plus connue sous l’appellation Lorraine-Dietrich, la famille De Dietrich se désengageant de ce site industriel en 1905.


Le baron Eugène de Dietrich et Adrien de Turckheim, désirant construire des automobiles, s’adressèrent à Amédée Bollée fils qui réalisait un tricycle avec deux roues à l’avant depuis 1895 et une voiture de type Vis à Vis depuis 1896. Ces deux véhicules étaient mus par un monocylindre de 641cm³ (75×145) refroidi par air développant 3ch, accouplé à une boîte à vitesses 3 rapports pour le tricycle et 4 rapports pour le Vis à Vis. Un accord fut conclu entre les deux parties et l’usine de Lunéville fabriqua des Amédée Bollée fils. La gamme fut constituée par une monocylindre de 6ch (1134cm³ – 95×160), une bicylindre de 12ch (2268cm³ – 95×160), une bicylindre de 9/16ch (3041cm³ – 110×160), une 4 cylindre de 18/32ch (6082cm³ – 110×160), les boîtes à vitesses ayant 4 rapports.
Pour l’usine de Niederbronn-les-Bains, un contrat fut signé avec le constructeur belge Vivinus pour construire, dès 1900, une Vis à Vis équipée d’un monocylindre refroidi par air de 716cm³ (95,5×100) développant 3,5ch à 650tr/mn accouplé à une boîte à vitesses 2 rapports. En 1902, elle fut transformée en 2 places et sa boîte à vitesses gagna un 3ème rapport. Pour cette même usine, le baron Eugène de Dietrich embaucha Ettore Bugatti (1881-1947) pour proposer à la vente entre 1902 et 1904, les De Dietrich Type 3 de 5308cm³ (114×130), De Dietrich Type 4 de 7433cm³ (130×140) et De Dietrich Type 5 de 12868cm³ (160×160), nommées ainsi rétrospectivement, toutes équipées d’un 4 cylindres OHV accouplé à une boîte à vitesses 4 rapports.
La branche automobile n’était pas rentable. Aussi, le baron Eugène de Dietrich et Adrien de Turckheim furent heureux de rencontrer les beaux-frères Léon Turcat et Simon Méry qui disposaient d’une voiture bien construite, milieu de gamme supérieur, 4 cylindres refroidis par eau accouplé à une boîte à vitesses 4 rapports. Une nouvelle aventure industrielle commença et dura 10 ans !
Dès 1902, De Dietrich construisit des Turcat-Méry, la bicylindre et la 4 cylindres. La 4 cylindres de 3054cm³ (90×120) fut construite bien plus tôt à Lunéville qu’à Marseille, dès 1903, et dénommée De Dietrich 12hp sur les marchés extérieurs. Elle était accompagnée par la De Dietrich 16hp de 4078/4156cm³ (104/105×120) et par la De Dietrich 24hp de 5429cm³ (120×120). En 1904, fut ajoutée la De Dietrich 35hp de 6902cm³ (130×130), remplacée en 1905 par les De Dietrich 40hp de 8621cm³ (140×140) et De Dietrich 60hp de 12076cm³ (155×160), remplacées en 1907 par la De Dietrich 40/50hp de 8495cm³ (130×160) et d’un empattement de 3,25m. Ces voitures haut de gamme furent remplacées par les Isotta Fraschini, car, entre 1907 et 1911, la société, devenue Lorraine-Dietrich en 1905, détenaient une quantité non négligeable de parts sociales du constructeur italien.




La firme continua son développement en mettant en service, en janvier 1908, une seconde manufacture à Argenteuil dédiée à la fabrication des automobiles, des camions et des autobus, celle de Lunéville se consacrant alors à la production de matériels ferroviaires. Cette nouvelle usine fut édifiée par les beaux-frères Léon Turcat et Simon Méry.
En 1910, Turcat-Méry abandonna la construction des 4 cylindres munis d’une course de 120mm. Lorraine-Dietrich poursuivit sa fabrication avec un alésage de 75mm pour le modèle Lorraine-Dietrich 12hp de 2121cm³ équipé d’une boîte à vitesses 3 ou 4 rapports et d’un châssis disponible avec deux empattements, 2,84m et 3,35m. Ce modèle fut retiré du marché en 1916. L’épine dorsale en termes de vente était constituée par le modèle Lorraine-Dietrich VHH 16hp de 3308cm³ (90×130) équipé d’une boîte à vitesses 4 rapports et d’un châssis d’un empattement de 3,16m. Il fut disponible de 1910 à 1914. En 1913, fut lancé le modèle Lorraine-Dietrich 40hp de 8345cm³ (125×170) équipé d’une boîte à vitesses 4 rapports et d’un châssis d’un empattement de 3,33m. En 1914, furent ajoutés les modèles Lorraine-Dietrich 14hp de 2614cm³ (80×130) et Lorraine-Dietrich 20hp de 4536cm³ (95×130). En 1916, la production des voitures fut stoppée. La Première Guerre mondiale fut une manne pour les usines de Lunéville et d’Argenteuil, camions, blindés et wagons furent commandés. Marius Barbarou (1876-1956) fut débauché de Delaunay-Belleville pour concevoir des moteurs d’avions fabriqués à Argenteuil.
La production des automobiles reprit en 1919. Fort de l’expérience acquise pendant le conflit, la Lorraine-Dietrich B3-6 fut équipée d’un 6 cylindres OHV de 3446cm³ et termina 8ème aux 24 Heures du Mans en 1923, 2ème et 3ème en 1924, 1ère et 3ème en 1925, aux 3 premières places en 1926. En 1923, les automobiles équipées d’un 4 cylindres OHV furent munies de freins sur les 4 roues en option ; les voitures équipées d’un 6 cylindres OHV, de freins sur les roues avants en série.
En 1929, le gouvernement français forma la Société Générale d’Aéronautique (SGA) en fusionnant plusieurs avionneurs autour de Lorraine-Dietrich. La production des automobiles devint secondaire, elles furent vendues sous la marque Lorraine de 1929 à 1935. Pendant l’entre-deux-guerres, environ 7000 automobiles furent assemblées à Argenteuil.


Article co-écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives
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