Interview exclusive : La Peugeot 601 Eclipse de Marcel Pagnol (2/2)

Marcel Pagnol (1895-1974) est un incontournable de la culture française. Ecrivain, dramaturge, metteur en scène de pièces de théâtre, cinéaste et producteur français, cet autodidacte est l’auteur de 24 films, mêlant philosophie et authenticité. L’un d’entre eux, le film Le Schpountz sortie en 1938, met en scène Irénée Fabre, rôle principale joué par Fernandel (1903-1971) au volant d’une magnifique Peugeot 601 Eclipse. Cette automobile est la voiture personnelle de Marcel Pagnol conçue par le trio Émile Darl’mat, Georges Paulin et Marcel Pourtout. Cette voiture existe toujours et fait l’objet, aujourd’hui, d’un ambitieux projet de restauration. Après une première partie où nous avons rencontré Hubert Auran et Arnaud Lagadec, actuels propriétaires de ce monument culturel et automobile, nous vous proposons de la découvrir au travers du regard de Nicolas Pagnol, petit-fils de Marcel Pagnol. Il a parlé à ABSOLUTELY CARS des Fonds de dotation Marcel Pagnol, de l’immense œuvre de Marcel Pagnol et de ce beau projet de restauration afin que tout un chacun puisse l’admirer dans le Musée Marcel Pagnol.

Nicolas Pagnol : « La Peugeot 601 Eclipse est la pièce-maîtresse du futur Musée Marcel Pagnol »

Petit-fils de l’écrivain Marcel Pagnol, vous souhaitez créer le Musée Marcel Pagnol. Pour cela, vous avez mis en place les Fonds de dotation Marcel Pagnol qui, pour rappel, serviront à la création du musée, à la restauration des différents films de Marcel Pagnol et à l’entretien du fond muséal (caméra, objectifs, manuscrits, œuvres d’art) dont la fameuse Peugeot 601 Eclipse. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les Fonds de dotation Marcel Pagnol ?

Les Fonds de dotation Marcel Pagnol ont été créés, il y a quelques années, par Jacqueline Pagnol (qui incarna Manon des Sources au cinéma, ndlr), ma grand-mère et la femme de Marcel Pagnol, et par mon père, Frédéric Pagnol. Le fond de dotation a pour objet de préserver l’héritage culturel et cinématographique de Marcel Pagnol. Il y a, par exemple, des terrains, au dessus de Marseille. Ces terrains en question sont ceux dont parle mon grand-père dans « La Gloire de mon père » (1957) et dans « Le Château de ma mère » (1957). C’était là où il faisait les quatre cents coups avec Lili, là où Joseph avait fait le coup du roi en tuant les Bartavelles avec l’oncle Jules. Ces terrains sont aussi ceux sur lesquels mon grand-père a tourné ses films, car après ses premiers succès au théâtre, à la fin des années 1920, il avait décidé de les racheter et par la suite, il y a tourné tous ses films comme « Angèle » (1934), « Regain » (1937) ou « Le Schpountz » (1938). La scène où « tout condamné à mort aura la tête tranchée » a été tournée dans les collines du massif du Garlaban, à Aubagne. Les Fonds de dotation Marcel Pagnol permettent la préservation de ces terrains qui restent en réserve naturelle afin qu’aucun projet immobilier ne se développe dessus. Ce fond doit également entretenir tout ce que la famille lui a apporté, c’est-à-dire l’habit d’académicien de mon grand-père, ses caméras, ses objectifs, des manuscrits, de la correspondance… tout un tas de chose qui, à termes, trouvera, nous l’espérons, leur place dans un futur musée Marcel Pagnol. Et bien évidemment, ce fond de dotation va aussi soutenir des initiatives privées, notamment des troupes de théâtre qui jouent du Pagnol. Le fond a aussi un grand projet : aider à la restauration de la Peugeot 601 Eclipse qui appartient à Hubert Auran et à Arnaud Lagadec. Cette voiture a la particularité d’avoir été celle de mon grand-père, Marcel Pagnol et d’avoir joué dans le film « Le Schpountz« . Le fond de dotation a vraiment vocation à entretenir et à faire la promotion de l’œuvre de Marcel Pagnol, mais aussi à la pérenniser, ce qui passe par la restauration des films de mon grand-père, par exemple.

L’un des plus importants projets mis en place par les Fonds de dotation Marcel Pagnol est la restauration de la Peugeot 601 Eclipse de Marcel Pagnol.

Bien sûr, l’un des plus importants projets est la restauration de cette voiture. Pourquoi ? Parce que ce sera la pièce-maîtresse du futur Musée Marcel Pagnol qui est en train de se créer. Et que cette voiture représente, pour moi également, l’aventure de l’histoire automobile. Elle était équipée du fabuleux brevet français (le système « Transformation automatique Eclipse« , ndlr) de Georges Paulin, ce dentiste qui a inventé le hard-top électrique, associé à un carrossier de génie, Marcel Pourtout, sur une commande d’un autre génie qu’était mon grand-père, Marcel Pagnol avec une marque géniale qui s’appelle Peugeot ! C’est les quatre « P » : Pourtout, Paulin, Pagnol et Peugeot ! (rires) C’est donc pour moi un projet assez important, car il y a aussi une histoire de savoir-faire. De moins en moins d’artisans sont capables de travailler comme on travaillait dans les années 1930, la voiture étant de 1935. Pour refaire la carrosserie, il faut avoir des connaissances spécifiques qui sont, hélas, en train de disparaître. C’est un peu comme dans le cinéma. Je fais restaurer des films et nous partons de la pellicule d’origine en nitrate, qui était dans la caméra. Nous avons besoin de savoir-faire très pointu et très précis qui sont en train de disparaître. C’est pour ça que j’ai envie que cette voiture soit restaurée le plus rapidement possible, car il reste encore des gens aujourd’hui qui ont ce type de savoir-faire, mais ils sont de moins en moins nombreux. Et puis aussi, d’une manière plus amicale, je souhaite de tout mon cœur qu’Hubert (Auran, ndlr) puisse voir cette voiture comme il l’a rêvé, lorsque Marcel Pagnol lui a offerte, en 1973.

Nous avons eu l’immense opportunité de pouvoir la voir en vrai et nous remercions Hubert Auran et Arnaud Lagadec pour cette véritable chance. Nous avons pu constater que cette Peugeot 601 Eclipse est dans un piteux état, bien qu’elle est conservée l’aura de sa superbe.

Elle est dans un piteux état, malheureusement… bien malheureusement… mais Hubert l’a récupéré comme ça, hélas… Parce que mon grand-père l’avait caché… Il avait un château, le Château de la Buzine, le fameux « Château de ma mère » qu’il avait acheté en 1940… Et lorsqu’il est parti se réfugier en Sarthe, près du Mans, il avait caché la voiture dans la grange du château et il l’avait fait recouvrir de paille. Le château a été squatté après la guerre et mon grand-père ne s’est plus trop occupé de ce château, ni de cette voiture, sa vie étant à Paris et plus dans le sud. La voiture a été alors désossée par les squatteurs. La carrosserie était en aluminium et dieu sait que l’aluminium, c’est précieux, car ça ne rouille pas. Et donc, il manque beaucoup de pièces… et puis le châssis en bois, forcément, a pourri, les selleries aussi. Et lorsqu’Hubert est allé voir mon grand-père et lui a parlé de cette voiture, Marcel Pagnol lui a dit qu’il l’avait toujours et qu’il pouvait la prendre quand il voulait au château. Hubert est allé voir le régisseur du château et il l’a chargée sur sa remorque. Il l’a ramenée chez lui. La vie passant, chacun ayant ses occupations, Hubert étant très pris, il n’a pas eu le temps de la restaurer.

Aujourd’hui, le moment est venu de la restaurer et les Fonds de dotation Marcel Pagnol sont là pour soutenir cette renaissance qui a aussi bien une importance culturelle qu’automobile.

Il faut savoir que cette voiture n’appartient pas aux Fonds de dotation Marcel Pagnol. Si vous soutenez la restauration de cette voiture, vous ne soutenez pas la restauration de la voiture de la famille Pagnol. Vous soutenez la restauration de la voiture d’Hubert Auran et d’Arnaud Lagadec et que le Fond soutient la restauration de cette voiture. En contrepartie, Hubert cèdera la nue-propriété de la voiture aux Fonds de dotation Marcel Pagnol, et non à la famille, afin que la voiture soit exposée au Musée Marcel Pagnol. Le but est que la voiture soit visible par tous au Musée Marcel Pagnol, que ce soit par les amoureux de voitures anciennes ou par les amoureux de Pagnol ou par les amoureux du cinéma.

Savez-vous pourquoi Marcel Pagnol a choisi spécialement une Peugeot 601 Eclipse ?

A l’époque, c’était une voiture exceptionnelle, notamment grâce ce brevet d’hard-top électrique qui est parfaitement incroyable ! Je n’en revenais pas qu’en 1935 que cela existait si tôt et je pensais que c’était réservé à certaines marques étrangères. Et qui plus est français ! Il faut savoir que Marcel Pagnol était un fervent défenseur de la culture française, mais aussi du savoir-faire français. Il était très proche des artisans, des indépendants… Il faisait d’ailleurs du cinéma comme un artisan, comme un indépendant… Il aurait pu acheter une Américaine, une Allemande, mais non, il a acheté une Peugeot, car il voulait soutenir son pays et le savoir-faire français. Et Peugeot, à l’époque, était déjà une marque mondialement reconnue. Il faut savoir que l’automobile est le marqueur du temps qui passe et le reflet de la société. Il y a tout dans l’automobile : la motorisation, le design et l’image que les consommateurs se font d’eux même. L’automobile est avant tout une projection de soi-même. Et je crois que la Peugeot 601 « Eclipse » est vraiment le reflet de Marcel Pagnol.

Marcel Pagnol appréciait énormément l’automobile et s’était même lancé dans le fabuleux projet de réaliser sa propre voiture. Pouvez-vous nous dire plus ?

Pour ceux qui ne savent pas, ce qui est très marrant c’est qu’autant Marcel Pagnol avait cette voiture exclusive, autant il avait travaillé, en 1937, sur la Topazette. C’est une voiture qu’il avait conçu : trois roues, trois places, trois chevaux, trois litres au cent, 30 km/h, 3000 frs. C’était la Volkswagen avant la Volkswagen ! Malheureusement, elle a fait trois tonneaux, le jour de son essai, au Parc Borély, à Marseille. C’est à dire qu’il avait une voiture de luxe, mais toute sa vie a tendu vers le partage de la culture et autre pour tout le monde, de la manière la plus démocratique possible. Et donc cette voiture, c’était pour que tout le monde puisse avoir sa voiture d’une manière abordable. Et son œuvre à cette image : une grand œuvre que tout le monde peut s’approprier.

Si nous souhaitons soutenir ce projet, comment pouvons-nous le faire ?

Nous avons un site Internet où il est possible d’abonder aux Fonds de dotation Marcel Pagnol, directement. Tout est sécurisé et nous envoyons un récépissé de défiscalisation. Le fond étant une association (reconnue d’utilité publique, ndlr), chaque donation permet de défiscaliser les dons à hauteur de de 66% pour les particuliers et de 60% pour les entreprises. Sur le site marcel-pagnol.com, il y a toutes les informations. A côté de ça, j’essaye de sensibiliser de grandes entreprises et je leur propose des conférences sous forme d’incentives ou encore des visites guidées des terrains où ont été réalisés les films de mon grand-père. Le but est de retracer l’histoire des livres tandis que je leur raconte toute cette épopée.

Que représente, selon vous, Marcel Pagnol aux yeux du monde entier ? Quel est son impact sur le cinéma ?

Marcel Pagnol est un exemple formidable. On parle souvent du rêve américain, lui a réalisé le rêve américain en France. Il est issu d’une extraction modeste et il va devenir un important chef d’entreprise en espace de quelques années, car au-delà d’être un artiste ô combien aimé des Français et des étrangers, il a été directeur de studio, producteur, distributeur de films, directeur de revue de cinéma… C’est donc une réussite industrielle qui a pris fin avec la Seconde Guerre mondiale. C’est un autodidacte. Dans un livre que j’ai publié il y a quelque années, qui s’appelle « Carnet de cinéma« , il disait : « Nous avons fait du cinéma sans rien y comprendre et nous résolvions les problèmes sans savoir qu’ils en étaient« . C’est ça, Marcel Pagnol ! C’est s’élancer dans des aventures et réussir par amour de ce que l’on fait, par passion… Il a quelque chose à apporter à tous ceux qui ont un projet et qui y croit dur comme fer. Il faut travailler, il faut y aller, il faut y croire, mais surtout, il faut se lever de bonne heure et se coucher tard ! C’est comme ça que Marcel Pagnol a apporté au cinéma la notion de liberté. C’était un indépendant qui était scénariste, producteur, réalisateur… Il avait ses studios, ses agences de distributions, ses laboratoires, ses cinémas… Il maîtrisait tout pour pouvoir faire une œuvre comme il l’a souhaité, par soucis du détails et pour parler de ce qu’il avait envie avec les comédiens qu’il désirait et pour que personne n’est rien à redire. Et puis, Marcel Pagnol fut toujours le grand défenseur des nouvelles technologies. Il est le premier grand réalisateur de cinéma parlant en France. C’est lui qui va défendre le cinéma parlant en France. Il va inventer, avec Philips, un système d’enregistrement sonore pour contrer l’hégémonie du système « western » électrique américain. Il est le premier à sortir les caméras des studios pour tourner en pleine colline, dans des décors naturels, avec un camion son ! Il va tourner également le premier film « couleur » français en technologie française en 1946, qui s’appelle « La belle Meunière » et qui est en soi une prouesse technique. C’est tout ça Pagnol ! C’est faire avancer l’art par la technique. Et ce n’est pas pour rien que la « Nouvelle Vague » va se réclamer de l’école Pagnol !

Nous arrivons au mot de la fin de cette formidable interview qui nous a offert ce regard croisé sur la Peugeot 601 Eclipse qui fait aujourd’hui l’objet d’une restauration complète afin que tout un chacun puisse l’admirer dans le Musée Marcel Pagnol. Quel est le message qui peut être apporté pour continuer à perpétuer ce beau projet ?

Aujourd’hui, la culture ne peut plus vivre sans une communauté. Et on le voit au travers de campagnes de crowdfunding. Enormément de projets ne prendraient pas vie sans le soutien d’une multitude de particuliers. Que vous donnez 5€ ou 10€ ou encore 10 000€, seule la mobilisation de tous les amoureux de Marcel Pagnol et de la mécanique pourra faire en sorte que cette voiture retrouve sa splendeur d’origine afin qu’elle puisse être exposée.

Si vous souhaitez soutenir ce projet, retrouvez la plateforme de crowdfunding des Fonds de dotation Marcel Pagnol en cliquant sur ce lien !

Article écrit par : ABSOLUTELY CARS 
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives

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