La Matra 530 dans le film Le Pacha est tout simplement magnifique. Georges Lautner (1926-2013) s’inspira du roman Pouce du journaliste Jean Laborde (1918-2007) qui écrivait sous différents pseudonymes (Jean Laborde entre 1954 et 1972, Jean Delion entre 1964 et 1968 ou encore Raf Vallet entre 1973 et 1984). Le réalisateur voulut donner une connotation résolument moderne à la Police française. Pour cela, il choisit la toute nouvelle Matra 530 pour le commissaire Louis Joss dit « le Pacha », un homme toujours tiré à quatre épingles, rôle joué par le célèbre comédien Jean Gabin (1904-1976), et l’inspecteur Marc, rôle joué par Jean Gaven (1918-2014). La voiture devient alors un prolongement de l’aura de ces deux célèbres acteurs. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle s’inscrit comme l’automobile amirale de la gamme coupés sportifs de Matra. ABSOLUTELY CARS revient sur cette magistrale épopée emplie de formidables souvenirs, de la musique de Gainsbourg et du bruit strident du V12 Matra !

Le film Le Pacha et la Matra 530


Georges Lautner qui avait réalisé le film mythique Les Tontons flingueurs sorti en 1963, reprit Michel Audiard (1920-1985) pour les dialogues. La musique fut confiée à Michel Colombier (1939-2004) et Serge Gainsbourg (1928-1991), le rythme faisant également partie du charme de ce film. Pour l’histoire, le commissaire Louis Joss dirige l’enquête sur la mort suspecte de l’inspecteur Albert Gouvion, son pote, rôle joué par Robert Dalban (1903-1987). Ce dernier menait une double vie, bien au-dessus de ses moyens, et avait une maîtresse dénommée Nathalie Villa, rôle joué par Dany Carrel (1932-….). Le rôle du méchant, Marcel Lurat, dit « Quinquin », était tenu par André Pousse (1919-2005). Pour en finir avec la distribution, le rôle d’Émile Vergnes dit « le Génois », guitariste et malfrat, était tenu par le sympathique acteur André Weber (1928-1996). Grâce aux répliques cultes et aux jeux de ces acteurs magnifiques, le film fit 2 050 211 entrées en France tout en étant interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie en salles en 1968 !
Michel Audiard ne put s’empêcher de faire un clin d’œil aux salariés de l’usine de Romorantin qui construisaient la Matra 530. Ainsi, quand Louis Joss demanda à Nathalie Villa de s’éloigner quelque temps de Paris, elle lui répondit qu’elle a « de la famille à Romorantin ».
De René-Bonnet à Matra, la genèse d’une marque

Marcel Chassagny, fondateur de Matra, acheta fin 1964 René-Bonnet et GAP (Générale d’Application des Plastiques) pour créer Matra Sports. Il confia les rênes de la nouvelle division à Jean-Luc Lagardère. La création de la Société des Automobiles René Bonnet intervint fin 1961, il y a 60 ans, lorsque René Bonnet (1904-1983) mit fin à sa collaboration avec Charles Deutsch (1911-1980). La production fut transférée de Champigny-sur-Marne à Romorantin en Sologne. Il proposa sous son nom un cabriolet issu de l’ancienne entité DB (Deutsch-Bonnet), dénommé René-Bonnet Le Mans. Pendant quelques mois, il conserva son bicylindre Panhard refroidi par air, puis des moteurs Renault refroidi par eau furent exploités. Les René-Bonnet adoptèrent des freins à disques à l’avant et le nouveau cabriolet René-Bonnet Missile, les 4 roues indépendantes. La même année, le nouveau coupé René-Bonnet Djet fut équipé d’un moteur central longitudinal arrière, de 4 freins à disques et quelques versions reçurent un châssis tubulaire.

Jean-Luc Lagardère (1928-2003) fit de même que René Bonnet, il ne conserva qu’un modèle : le coupé René-Bonnet Djet qui devint Matra-Bonnet Djet en 1965, puis Matra Djet en 1966, puis rapidement Matra Jet. Il était toujours équipé d’une carrosserie en polyester stratifié, d’une boîte à vitesses 4 rapports. Un toit rigide amovible était disponible en option et pouvait être rangé dans le coffre arrière.




La Matra 530 : la première vraie Matra est née !
La Matra 530 fut présentée lors du Salon de l’automobile de Genève en mars 1967. Cette année-là, Panhard vivait ses dernières heures. Il ne restait que quatre constructeurs généralistes français : Renault, Citroën, Peugeot, Simca et trois constructeurs spécialistes, Alpine, CG et Matra, ces derniers proposant des voitures équipées de carrosseries en fibre de verre. Pour son lancement, Matra ne fit pas appel à des publicistes et à des réclames à la télévision, mais aux « fake news » comme on dit aujourd’hui. En effet, des rumeurs circulaient concernant cette nouvelle automobile, reprises par la presse spécialisée. Un nouveau coupé allait être vendu sur le marché aux alentours de 10000 francs grâce à une production journalière de 25 voitures. En tablant sur 260 jours par an, cela donnait une production annuelle de 6500 exemplaires, soit une production totale de 39000 exemplaires. En 1967, la Matra 530 fut proposée à 16190 francs, montant à rapprocher de celui demandé par la Citroën DS 21 Pallas, soit 17135 francs, cette dernière ayant un moteur 4 cylindres OHV de 2175cm³ délivrant 100ch DIN à 5500tr/mn / 109ch SAE à 5500tr/mn. Pour justifier ce prix, Matra distribua des schémas sur le contenu technique de la nouveauté, diffusés par la presse spécialisée.

Avides de nouveautés en matière de voitures de sport, les lecteurs se précipitèrent sur les caractéristiques : V4 OHV Ford de 1699cm³, 85ch SAE à 4800tr/mn, 145Nm à 2500tr/mn, boîte à vitesses 4 rapports, vitesse maximale de 172km/h, 1000m en 34 secondes, freins à disques sur les 4 roues, Cx de 0,34, pneus à l’avant 145×14, pneus à l’arrière 155×14 ou 165×14, 840kg à vide. Sur les spécifications étrangères, il était signalé une puissance de 78ch DIN à 4800tr/mn, un couple net de 128Nm à 2500tr/mn. En tenant compte des rapports de boîte et de pont, un 0 à 100km/h en moins de 12 secondes était attendu. Le premier essai réalisé par un journaliste donna un 0 à 100km/h en 14,5 secondes. Les jeux étaient faits : ce n’était pas une sportive. Onéreuse à l’achat, sa finition laissant à désirer, il ne restait à ce coupé que sa magnifique plastique signée Jacques Nocher pour se vendre. En 1967, il ne s’en vendit que 90, en 1968, 1615 et en 1969, 1915.
En 1968, le carrossier italien Vignale habilla un coupé Matra 530. Au cours de l’année, il fut exposé dans divers salons avec différentes couleurs, notamment bi-tons. Son moteur étant de 72ch DIN à 4800tr/mn, sa carrosserie en acier pour un poids total de 935kg.



Le châssis était constitué de tôles d’acier soudées entre elles, percées d’alvéoles à de multiples endroits pour contenir son poids. Il était produit chez Carrier à Alençon. L’assemblage final de la carrosserie en époxy était réalisé chez Brissonneau et Lotz à Creil. De nombreux défauts de peinture, d’assemblage et de qualité poussèrent Matra à rapatrier l’assemblage à Romorantin au bout de deux ans. En avril 1969, un carburateur double-corps fut enfin adopté. La même année, Matra Sport s’associa avec CG et SIMCA pour mettre en place un programme de compétition automobile dénommé Simca CG Proto MC et monta sur le plus haute marche du Classement des constructeurs en F1. Pour espérer augmenter le volume de vente, Matra fit appel à un des plus grands designers, Giovanni Michelotti (1921-1980), pour améliorer son unique modèle. Ainsi apparut en mars 1970 la version Matra 530 LX avec toit amovible en deux parties ou fixe, entourage chromé de la calandre et pare-chocs épaissis, pare-choc central tubulaire remplacé par deux butoirs avec caoutchouc, baguettes chromées complémentaires, lunette arrière plexiglas remplacée par une en verre, panneaux de carrosserie en polyester armé de fibre de verre. Remis à niveau, Simca-Chrysler accepta alors de distribuer ce magnifique coupé. En octobre 1970, fut ajoutée la version économique Matra 530 SX dépourvue du toit amovible, des phares escamotables et de la baquette arrière. Cette dernière tourna le dos au concept même de ce véhicule, un targa offrant quatre places grâce à son empattement de 2,56m. Sa longueur était comprise entre 4,15m et 4,2m. En 1970, la Matra 530 se vendit à 2053 exemplaires, en 1971,1703, en 1972, 2159, en 1973, 74. Ce coupé disparut en février 1973 après avoir été assemblé à 9609 exemplaires.
A son volant, la Matra 530 LX targa ne présente pas de défauts majeurs. Son moteur Ford, pour peu qu’il soit entretenu, est fiable. La tenue de route est remarquable, que ce soit en ligne droite ou en virage. Elle est rassurante et il est inutile de savoir maîtriser le contre-braquage. Le confort général est également un atout tout comme le fait de rouler les cheveux au vent, le toit amovible rangé dans le coffre avant. Sa consommation est relativement contenue, aux alentours de 9 litres aux 100km. Si l’on est passionné et si l’on prête attention, le moteur émet des noms : Stewart, Beltoise, Pescarolo, Amon, Courage, Vaccarella, Guichet, Hill, Cervet, Ganley…






Les fameux coupés sportifs de Matra
La Matra-Simca Bagheera
Le 11 juin 1972, Henri Pescarolo et Graham Hill gagnèrent les 24 Heures du Mans sur une Matra MS670 équipée d’un V12 de 2993cm³ (79,7×50) muni de deux double-arbres à cames en tête, de 48 soupapes et d’une injection Lucas. Accouplé à une boîte à vitesses ZF 5 rapports, il développait 450ch à 10500tr/mn. Elle fut vendue aux enchères par Artcurial à Paris le 5 février 2021 au prix de 6 907 200 €.

Le 14 avril 1973 à Talloires au bord du lac d’Annecy, les Matra-Simca Bagheera furent présentées à la presse. Elles étaient de couleur jaune soleil avec sellerie noire/verte et moquette jaune/verte. Son moteur était un 4 cylindres de 1294cm³ OHV Simca implanté en position centrale transversale arrière, muni de deux carburateurs double-corps, accouplé à une boîte à vitesses 4 rapports. Sa puissance était de 84ch DIN à 6200tr/mn. Les phares escamotables, les glaces latérales galbées et les freins à disques sur les 4 roues assistés hydrauliquement étaient présents. L’originalité résidait dans les trois places frontales. La ligne avec un Cx de 0,33, évocatrice de performances, était due à Jean Toprieux, Jacques Nochet et Antoine Volanis. Par rapport à sa devancière, elle conservait la même hauteur de 1,2m, sa largueur fut portée de 1,57m à 1,73m. Son empattement était de 2,37m, sa longueur de 3,97m.
Parmi les Matra-Simca Bagheera jaunes, était présent un modèle bleu. Il se différenciait des autres par sa partie arrière et il ne fut pas prêté aux journalistes. Il était équipé de deux 4 cylindres de 1294cm³ OHV Simca implantés côte à côte, l’ensemble étant monté en position centrale longitudinale arrière, sa boîte à vitesses ayant 5 rapports. Sa cylindrée était de 2588cm³, sa puissance de 168ch DIN à 6200tr/mn, son couple de 216Nm à 4000tr/mn, son taux de compression de 9,8. Ce moteur était équipé de quatre carburateurs double-corps, deux pompes à essence, deux filtres à air, deux vilebrequins, un carter commun d’huile, deux chaînes entraînant un arbre commun central. Sur le circuit de Mortefontaine, il fut chronométré à 236km et le 0 à 100km/h fut franchi en 7,7 secondes. Sa consommation à plein régime dépassait les 28 litres aux 100km. La Matra-Simca Bagheera U8 fut représentée à la presse internationale en juillet 1973. Son empattement était de 2,6m, sa longueur de 4,14m. Quatre exemplaires seulement furent assemblés.



Le 10 juin 1973, Henri Pescarolo et Gérard Larrousse gagnèrent les 24 Heures du Mans sur une Matra MS670B et la Matra-Simca Bagheera U8 était présente pour cet évènement. Lors du 60ème Salon de l’automobile de Paris, Porte de Versailles, il était difficile de s’approcher de la Matra-Simca Bagheera. Faisant la queue, les adultes disaient qu’il existait une version U8, un V8 avec deux vilebrequins. Déception, elle n’était pas là. Par contre, l’enthousiasme régnait autour des Bagheera exposées.
Le 16 juin 1974, Henri Pescarolo et Gérard Larrousse gagnèrent les 24 Heures du Mans sur une Matra MS670B, troisième victoire consécutive pour Matra et Henri Pescarolo. Le 30 septembre1974, sortit la première version Courrèges. André Courrèges (1923-2016) et son épouse Coqueline Courrèges (1935-….), fabuleux couturiers des années 1960 avec ses minijupes et ses emblématiques bottes blanches, donnèrent naissance à des Bagheera de couleur blanche :
- écusson « Courrèges » sur les portières,
- pare-brise et vitres non teintés,
- sièges et garniture de pavillon en skaï blanc,
- tableau de bord beige,
- sacs à main cousus dans les contre-portes,
- ceintures de sécurité à enrouleurs,
- lunette arrière dégivrante, vitres électriques et horloge,
- jantes en alliage.
Le modèle de base était dépourvu de ces équipements. Le modèle intermédiaire était muni des vitres teintées, des ceintures de sécurité à enrouleurs, de la lunette arrière dégivrante, de l’horloge, des jantes en alliage, les vitres électriques demeurant une option.
En juin 1975, la Matra-Simca Bagheera Courrèges adopta un 4 cylindres de 1442cm³ toujours muni de soupapes en tête et de deux carburateurs double-corps. La version intermédiaire fit de même et fut rebaptisée Matra-Simca Bagheera S. L’option toit ouvrant coulissant et souple fit son apparition. La première génération fut assemblée à 25 476 exemplaires.


En juillet 1976, la Matra-Simca Bagheera subit son premier et unique restyling. Son Cx grimpa de 0,33 à 0,35 suite à l’adoption de volumineux pare-chocs avant et arrière. Les glaces de custode furent agrandies. Le 1294cm³ fut conservé pour le marché français jusqu’en septembre 1978. Le 1442cm³ muni de deux carburateurs double-corps fut exploité sur la version Matra-Simca Bagheera Courrèges (avec des équipements intérieurs originellement blancs devenus beiges) jusqu’en juillet 1977, sur la version Matra-Simca Bagheera S jusqu’en juillet 1979 et sur la version Matra-Simca Bagheera X entre août 1977 et avril 1980. Le 1442cm³ muni d’un carburateur double-corps (la puissance du moteur étant ramenée de 90ch à 84ch) fut exploité entre juillet 1976 et avril 1980 sur les marchés étrangers, entre septembre 1978 et avril 1980 sur le marché français. La version restylisée fut assemblée à 22 320 exemplaires, les derniers étant vendus sous la dénomination Talbot-Matra Bagheera.



La Talbot-Matra Murena
La Talbot-Matra Murena eut la lourde tâche de remplacer la Matra-Simca Bagheera. Toujours fabriquée à Romorantin, elle en reprenait les grands principes techniques :
- 4 cylindres central transversal arrière et 4 roues indépendantes,
- coffre implanté à l’arrière du moteur (320 litres pour la Bagheera, 290 litres pour la Murena 1,6 litre, 232 litres pour les Murena 2,2 litres),
- accès au coffre et au moteur à l’aide d’un hayon et 3 places frontales,
- Cx de 0,33, carrosserie en polyester armée de fibre de verre et châssis monocoque en acier,
- phares escamotables et 4 freins à disques.
Outre son châssis en acier galvanisé à chaud, une première mondiale pour une voiture de série, les principales améliorations portèrent :
- sur l’allongement de l’empattement, cette fois-ci de 2,44m engendrant une longueur de 4,07m,
- le nombre de rapports de la boîte à vitesses, 5 au lieu de 4,
- l’utilisation du magnifique 4 cylindres OHC qui fut monté dans les Chrysler 160/180/2 litres et dans la limousine Talbot Tagora, qui fut exploité, entre autres, dans le programme de compétition automobile dénommé Simca CG Proto MC entre 1969 et 1973.
L’accueil du public fut enthousiaste lors de sa présentation, mais pas autant que celui de 1973 pour la Matra-Simca Bagheera. La Matra-Simca Bagheera se vendit en 47 796 exemplaires de 1973 à 1980, soit une moyenne annuelle de 6 800 exemplaires environ. La Talbot-Talbot Murena se vendit en 10 680 exemplaires en trois ans, une moyenne annuelle de 3 600 exemplaires environ. La Talbot-Matra Murena demeure un témoignage de la french touch.
Le duo Philippe Guédon / Antonis Volanis conçut le monospace Renault Espace. L’usine de Romorantin fabriqua le Renault Espace I à 191 694 exemplaires entre 1984 et 1991, le Renault Espace II à 317 225 entre 1991 et 1996, le Renault Espace III à 365 323 entre 1996 et 2002. Cet exploit industriel et commercial ne mit plus en avant la dénomination Matra. Renault décida de transférer sa production dans une de ses usines, celle de Sandouville. Partageant sa plate-forme avec la Renault Laguna II, la Renault Espace IV adopta alors une carrosserie en acier. Comme lot de consolation, l’usine de Romorantin eut en charge la fabrication du coupé monospace Renault Avantime. Le volume de vente de 8 557 exemplaires entre 2001 et 2003, fut malheureusement jugé insuffisant et le site industriel ferma ses portes.



Article co-écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives
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C’est ma Matra 530 LX (jaune soleil) qui illustre cet article; photographie prise place Vauban à Paris.