En 1950, la Régie Renault voulut étendre sa gamme. Depuis la nationalisation des usines Renault, la Régie respectait scrupuleusement le Plan quinquennal Pons qui encadrait les constructeurs français. Elle a construit avec succès deux voitures populaires nées sous l’ère Louis Renault (1877-1944) : l’incontournable Renault Juvaquatre et la légendaire Renault 4CV. Mais devenons-nous résumer les années 1950 à ces deux seuls modèles ? Bien évidemment non ! Renault, c’est aussi l’atypique Renault Colorale et la très luxueuse Renault Frégate, les deux nouveaux modèles de la Régie ! ABSOLUTELY CARS vous propose de (re)découvrir les Renault des années 1950 au travers de ces quatre emblématiques modèles !



La Renault Juvaquatre, l’inoubliable Française


La Renault Juvaquatre fut présentée le 7 octobre 1937 lors du Salon de Paris. Louis Renault avait déjà fait construire des voitures populaires :
- de 1922 à 1929, la Renault Type KJ équipée d’un 4 cylindres de 951cm³ (58×90) dénommée Renault Type MT, de 1924 à 1926 et Renault Type NN de 1924 à 1929
- de 1931 à 1935, la Renault Monaquatre équipée d’un 4 cylindres de 1299cm³ (66×95), 1462cm³ (70×95) à partir de 1932.
Sa conclusion était la même que celle d’André Citroën qui fit également la Citroën Type C de 1921 à 1926 : fabriquer des voitures populaires n’est pas rentable. Louis Renault était interrogatif sur le fait que General Motors, alors leader mondial, continuait à investir dans les voitures populaires en dotant l’Opel 1,3 liter de 1934, de roues avant indépendantes et de freins hydrauliques et l’Opel Kadett de 1936, d’un châssis autoporteur. Louis Renault décida de fabriquer son Opel Kadett : la nouvelle Renault Juvaquatre. Cette voiture avait des roues avant indépendantes, un châssis autoporteur, une boîte à vitesses 3 rapports avec les deux derniers synchronisés. Elle adopta les freins hydrauliques en 1939 et ressemblait à s’y méprendre à l’Opel Kadett, ce qui lui fut reproché. Cette voiture aurait pu connaître un succès bien plus important sans la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, elle fut fabriquée en 252 604 exemplaires dans les usines de Billancourt et de Flins en France, Haren en Belgique, Acton au Royaume-Uni, Haïfa en Israël.








La Renault 4CV, la star d’après-guerre
La Renault 4CV fut conçue dans le plus grand secret pendant la Seconde Guerre mondiale par Charles-Edmond Serre (1882-1959) et son adjoint, Fernand Picard (1906-1993), embauché en 1935. Charles-Edmond Serre qui travaillait avec Louis Renault depuis le 1er novembre 1898, devint le chef du bureau d’études cinq ans après. Il participa activement à la conception des moteurs des voitures, des moteurs des camions et autobus, des amortisseurs hydrauliques (1905), des moteurs d’avions, des chars, des tracteurs agricoles, des autorails. Cette fois-ci, ce fut la KdF-Wagen (KdF pour « Kraft durch Freude », la force par la joie, construites en 210 exemplaires de 1938 à 1939, future Volkswagen Coccinelle) qui fut l’inspiratrice du développement d’une voiture en adéquation avec les problèmes économiques de sortie de guerre.
D’après le site planeterenault.com, le matin du 20 Mai 1941, Louis Renault surprit Charles-Edmond Serre et ses collaborateurs en train d’examiner la maquette d’un moteur équipé de soupapes en tête :
“Nous aperçûmes, un peu en retrait, Louis Renault, les mains dans les poches de son veston… qui nous regardait… Serre rougit, comme un enfant pris en faute et bredouilla quelques mots. Sans une parole, le patron tourna autour de l’objet de notre examen… Puis sortant les mains de ses poches, il se mit à le caresser avec concentration, comme il l’aurait fait d’une œuvre d’art.
– “C’est beau, qu’est-ce que c’est ?”, demanda Louis Renault.
– “Comme Picard avait du temps libre, il a dessiné ce petit moteur à culbuteur pour la Juvaquatre, ou éventuellement une petite voiture à moteur arrière, si vous voulez qu’on en fasse une. Nous avons fait une maquette de l’objet. Mais nous ne pouvons pas aller plus loin, nous n’en n’avons pas le droit…”, répondit Charles-Edmond Serre
-“Pas le droit ? M’en fous ! Faites trois moteurs, et celui-là dans mon bureau !”
Les contraintes imposées par Louis Renault pour poursuivre le développement de cette future voiture étaient pragmatiques :
- reconduction des solutions techniques mises en œuvre pour la Renault Juvaquatre, freins hydrauliques et caisse autoporteuse afin d’exploiter l’outillage existant
- apport d’un nouveau lot d’innovations, moteur équipé de soupapes en tête déjà étudié, boîte à vitesses 4 rapports et 4 roues indépendantes
Malgré toutes les interdictions de l’occupant, le premier prototype roulait mi 1943, le second dès mars 1944.





Par l’ordonnance n°45-68 du 16 janvier 1945, signée par le Général de Gaule, sans aucune forme de procès, les usines Renault furent nationalisées. A la Commission de représentation patronale, l’embryon du CNPF, le 4 octobre 1944, le Général de Gaule dit : « Je n’ai vu aucun de vous, Messieurs, à Londres… ». Georges Villiers lui rétorqua qu’il n’était pas à Londres, mais dans le camp de concentration de Dachau en tant que résistant. En désaccord avec l’Assemblée constituante, le Général de Gaulle remit sa démission le 20 janvier 1946 et le 16 juin 1946, dans son discours à Bayeux en Normandie, il y exposa sa vision de l’organisation politique d’un État démocratique, mais il ne fut ni suivi par les industriels, les entrepreneurs, la bourgeoisie, ni par les partis de gauche… Il inaugura alors sa fameuse « traversée du désert » jusqu’en 1958. Il avait été si facile de nationaliser les usines Renault, Louis Renault étant l’unique actionnaire et sa société n’étant pas cotée en bourse. Pierre Lefaucheux (1898-1955), jusqu’alors l’administrateur provisoire, en devint le premier directeur général, le 7 mars 1945. Ayant eu des difficultés par sa haute stature à entrer à l’arrière du second prototype, il fit ajouter deux portes avant suicides et en novembre 1945, le troisième et dernier prototype vit le jour.
Le 3 octobre 1946 lors du Salon de l’automobile de Paris, la Renault 4CV fut présentée avec une boîte à vitesses 3 rapports, les deux derniers étant synchronisés. Le 2 août 1947, la première Renault 4CV sortit du site industriel de Billancourt. Cette petite merveille fut la voiture la plus vendue en France, de 1949 à 1955. Elle fut la première voiture française dépassant le million d’exemplaires. Elle fut produite jusqu’en 1961 en 1 105 547 exemplaires par les usines de Billancourt et de Flins. Elle fut également réalisée à Sydney (Australie), Acton (Royaume-Uni), Haren (Belgique), Valladolid (FASA dès 1953 en Espagne), Hino-shi (HINO au Japon).
Les premières exportations vers l’Amérique du Nord eurent lieu dès 1948, officiellement de 1950 à 1958, avec les versions les plus huppées et la découvrable. Quelque 170 000 exemplaires traversèrent l’Océan Atlantique. Des carrossiers et des préparateurs réalisèrent des dérivés en variante coupé et cabriolet à l’instar de Jean Rédélé avec Alpine. L’empattement de la version de série était de 2,1m.


Collection Schlumpf de Mulhouse





La Renault 4CV Service, lancée en 1953, fut, totalement dépouillée pour concurrencer la Citroën 2CV (glaces arrière fixes, banquettes similaires à cette de la 2CV…). Elle fut vendue au prix de 399 000 anciens francs; Il faut savoir que la Citroën 2CV était vendue 341 870 anciens francs tandis que la Renault 4CV Affaires était commercialisée pour 458 000 anciens francs. Dès le mois d’août, après 8 mois de commercialisation, elle fut retirée du marché car elle ne trouva pas sa clientèle.


La Renault Colorale, l’aventureuse septuagénaire
Citroën a mis à mal le Plan Pons en investissant un créneau qui était attribué à la Régie, celui des voitures populaires, avec sa Citroën 2CV, présentée en 1948 et fabriquée à partir de 1949. De son côté, la Régie fit une étude de marché pour vérifier s’il existait une opportunité pour une automobile de gamme intermédiaire, un créneau attribué à Peugeot et Simca qui vendaient également des voitures spécifiques destinées aux Colonies et au monde rural :
- la Peugeot 202 « woody » ou « canadienne », (1946-48), fourgon (1946-49), camionnette bâchée (1946-49),
- la Peugeot 203 break (1950-56), fourgon (1950-52), fourgonnette (1950-60), camionnette bâchée (1950-57),
- la Peugeot 403 break (1956-62), camionnette bâchée (1957-67), fourgonnette (1960-62),
- la Simca 8 « woody » ou « canadienne » (1947-49), fourgonnette (1947-51), break (1947-51), camionnette bâchée (1947- 51),
- la Simca Aronde fourgonnette (1951-59), break (1951-59), camionnette bâchée (1954- 60).
Par rapport à la concurrence, la nouvelle Renault devrait apporter un plus : les 4 roues motrices. Pour cela, un châssis séparé d’un empattement de 2,66m, acceptant deux configurations, propulsion et 4 roues motrices, fut entériné. Il était équipé de deux essieux rigides, d’un 4 cylindres implanté à l’avant, de freins hydrauliques, d’une boîte à vitesses 4 rapports, les deux derniers étant synchronisés. La dénomination de cette nouvelle venue : Colorale, contraction des mots COLOniale et ruRALE.


Lancée en mai 1950, la nouvelle gamme fut sans cesse renouvelée et étendue :
- la Renault Prairie, gros break 5 portes équipée de 7 places (2 banquettes et un strapontin dans le coffre), d’un hayon et d’un vantail inférieur (cible visée, la Peugeot 203)
- la Renault Prairie Taxi équipée de trois strapontins qui faisait face à la banquette arrière, le strapontin du coffre et le siège passager ayant été retirés,
- la Renault Savane, gros break 3 portes équipé de 2 banquettes, d’un hayon et d’un ventail inférieur, de bâches latérales sur la partie arrière (cible visée, les Simca 8 et Aronde),
- la Renault Colorale Fourgonnette 800kg disponible de 1950 à 1956,
- la Renault Colorale Pick-up 800kg disponible de 1950 à 1953,
- la Renault Colorale Châssis-Cabine destinée aux carrosseries spécifiques, disponible de 1950 à 1956,
- le châssis 4×4 avec sa garde de sol de 22cm, son angle d’approche de 43°, capable de monter une rampe de 55%, équipé d’un boîte de transfert donnant 2×4 rapports (marche arrière comprise), disponible de 1952 à 1956,
- la Renault Colorale Plateau-Ridelles, une camionnette disponible de 1953 à 1956,
- la Renault Colorale Pick-up “Step-Side” 800kg disponible de 1954 à 1956 ; avec le châssis 4×4, sa capacité était ramenée à 750kg sur un terrain plat, 500kg sur un terrain accidenté.

Les principales qualités de la Renault Colorale étaient d’offrir une esthétique agréable grâce à la carrosserie ponton et une large gamme. Hélas, ses défauts, un prix supérieur aux alternatives Peugeot, une absence totale d’agrément de conduite, une consommation élevée condamnèrent cette voiture lors de la crise de Suez en 1956. Les derniers modèles disponibles furent bradés en 1956, les véhicules d’occasion également. Les agents Renault convertirent ces automobiles en dépanneuses, visibles jusqu’au milieu des années soixante-dix. De mai 1950 à février 1956, 38 150 automobiles et châssis furent réalisés sur l’Ile Seguin, les carrosseries étant embouties et assemblées chez Chausson à Gennevilliers.






La Renault Frégate, le haut de gamme de la marque au losange
Le duo Renault Juvaquatre Fourgonnette/Break 3 portes et la citadine Renault 4CV se vendaient très bien. La Régie avait une trésorerie suffisante pour étudier aussi une voiture haut de gamme : la Renault Frégate. Elle fut présentée à la presse au Palais de Chaillot, à Paris, le 30 novembre 1950, par Pierre Lefaucheux, la production ne débutant qu’en 1951. Et quelle magnifique voiture ! Carrosserie monocoque et aérodynamique, de style ponton avec plancher plat, 4 cylindres muni de soupapes en tête, boîte à vitesses 4 rapports avec les 3 derniers synchronisés, freins hydraulique et 4 roues indépendantes !


La cible visée était la Citroën Traction Avant, une réponse de la Régie à la maison du Quai de Javel suite au lancement de sa Citroën 2CV. Conçue en un an, cette nouvelle voiture mit un terme à la venue d’un nouveau plan quinquennal destiné à l’industrie automobile.
Les principales qualités de la Renault Frégate étaient d’offrir une esthétique agréable, une très bonne tenue de route, un haut niveau de confort grâce à son silence, ses 2 banquettes prévues pour 6 personnes, ses suspensions, son freinage efficace. Son principal défaut était son moteur de 2 litres asthmatique jusqu’à son remplacement en 1955 par un 2,2 litres. Cependant, la même année, une nouvelle concurrente fut lancée, la Citroën DS. Le succès fut néanmoins au rendez-vous avec 180 463 exemplaires réalisés dans les usines de Billancourt et de Flins en 9 ans de production. Les breaks équipés d’un hayon et d’un vantail inférieur étaient également appréciés.

La Renault Frégate n’eut pas de descendance directe, mais l’ADN de la Régie était définie : des citadines avec des versions dynamiques, des compactes avec des variantes sur-vitaminés, la première étant la Renault Dauphine, fabriquée à partir de mars 1956 en 2 150 738 exemplaires. La montée en gamme se fera progressivement. En septembre 1957, fut présentée une nouvelle transmission complémentaire. Cette nouvelle boîte à vitesses semi-automatique 3 rapports se dénommait « Transfluide ». Son système était constitué par un embrayage classique commandé par un électroaimant, couplé au moteur au travers d’un convertisseur de couple hydraulique. La boîte à vitesses disposait de six positions, de gauche à droite :

- la position « P » pour Parking, verrouillage de la transmission,
- la position « R » pour Recul ou Reverse sur les marchés export,
- la position « E » pour Exceptionnel, un rapport démultiplié qui permet d’affronter les situations difficiles entre 0 et 60km/h,
- la position « N » pour Neutre, le point mort,
- la position « M » pour Montagne, entre 0 et 90km/h,
- la position « VR » qui signifie Ville-Route, le troisième rapport étant en prise directe, mode le plus souvent utilisé dans la conduite de tous les jours, entre 0 et 135km/h.
Malgré la présence d’un châssis monocoque d’un empattement de 2,8m, de nombreuses variantes furent réalisées par des carrossiers de renom :












Article écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives
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