Simson & Steigner ou l’histoire d’un chaînon manquant

Certaines marques automobiles ont, hélas, disparu dans les spirales du temps et des mémoires. Pourtant, chacune d’entre elles recèlent son lot de belles surprises à dépoussiérer quand s’annonce un anniversaire. C’est le cas du constructeur Simson, marque allemande réputée dans le monde de la motocyclette de petite cylindrée. Elle le fut également dans le domaine des armes civiles et militaires, mais surtout de l’automobile. En effet, elle proposa à la vente, entre 1924 et 1926, une gamme d’automobiles équipée d’un 4 cylindres muni d’un double arbre à cames en tête et de 16 soupapes ! ABSOLUTELY CARS vous invite donc à redécouvrir la saga des marques allemandes Simson et Steiger, 110 ans après le lancement de la production de voitures Simson !

Les automobiles Simson

La famille Simson et Paul Henze

Dans la région de Thuringe, les frères Löb Simson (1806-1862) et Moses (Moïse) Simson (1808-1868) achetèrent, en 1856, une société spécialisée dans la fabrication d’outils et dans l’usinage de pièces mécaniques. Ils la rebaptisèrent immédiatement en « Simson & Co ». Les machines étaient entraînées par un moulin hydraulique. En 1862, la société entra dans le registre du commerce de la ville de Suhl. Lors du décès de Moses Simson, son épouse Louise, née Ehrmann (1817-1893), mère de sept garçons et d’une fille, dirigea la société avec l’aide de Karl Luck, armurier embauché par son mari en 1865. En 1870, son fils Leopold (1847-1870) décéda au combat lors de la guerre franco-allemande. En 1871, la force motrice des ateliers fut remplacée par une machine à vapeur pour augmenter la cadence de fabrication des armes individuelles, civiles et militaires, vendues en Allemagne et exportées dans le monde entier. Entre 1874 et 1884, ses second et quatrième fils, Gerson (1845-1904) et Hugo (1852-1926) prirent de plus en plus de responsabilités. Ses cinquième et sixième fils, Louis (1854-1948) et Daniel (1858-1892) émigrèrent aux Etats-Unis. Son septième fils, Julius (1860–1938) devint directeur général d’une usine de porcelaine située à Gotha, acquise en 1883. En 1884, Karl Luck quitta la société. En 1893, débuta la production des pièces de précision destinées à l’artillerie, son principal client étant la société Krupp. En 1896, commença la production des bicyclettes équipées de pneumatiques. Lors du décès de Gerson Simson, en 1904, la société était le plus gros employeur de la région avec 1200 salariés. Sa veuve Jeanette, née Heller (1847-1926), mère de cinq garçons et de deux filles, dirigea la société avec l’aide de son premier fils Max (1871-1924) et de son troisième fils Leonhard (1878-1929), son second fils Ernst (1874-1953) devenant avocat.

En 1909, l’ingénieur allemand en mécanique Paul Henze (1880-1966) fut embauché. Il travailla successivement pour plusieurs employeurs, comme concepteur en chef. Il fut, tout d’abord, chez le motoriste Cudell Motor Compagnie, implanté à Aix-la-Chapelle entre 1899 et 1902, puis chez le constructeur belge Imperia, situé à Nessonvaux près de Liège, puis chez Simson, entre 1909 et 1910, puis chez le constructeur bohémien RAF, entre 1910 et 1911, puis à nouveau chez Imperia, puis chez le constructeur allemand Steiger, puis derechef chez SIMSON à partir de 1922, puis chez le constructeur allemand Selve en 1928 et enfin chez le constructeur allemand NAG à partir de 1929. Sa double intervention chez Simson engendra deux séries distinctes d’automobiles : les Simson entre 1911 et 1923 et les Simson Supra entre 1924 et 1934.

La croissance de la société de Suhl fut importante pendant la Première Guerre mondiale. Elle fabriqua des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, des pièces d’artillerie légères, des moteurs d’avions, des ambulances. En 1918, elle employait 3500 salariés. Le traité de Versailles mit un terme à ces activités. Après leurs études en université, les plus jeunes frères Arthur (1882-1969) et Julius (1884-1953) intégrèrent la direction de la société en 1921. Arthur remplaça Max en 1924 et Julius, Leonhard en 1929. Arthur étudia le traité de Versailles et découvrit qu’un seul fournisseur allemand d’armes légères était possible. Le 25 août 1925, il obtint un accord de monopole avec les forces armées allemandes pour livrer des mitrailleuses, des fusils, des pistolets. En 1930, la société lança la fabrication des poussettes et landaus. L’arrivée au pouvoir des nationaux-socialistes changea la donne. Le Gauleiter de Thuringe Fritz Sauckel, né en 1894, décédé le 16 octobre 1946 à Nuremberg, diffama les directeurs généraux «juifs», Arthur et Julius, pour situation de monopole et marges abusives. Lors d’un premier procès de Meiningen, le bureau d’audit du Reich ne prouva pas l’existence de profits excessifs. Arthur et Julius, alors détenus, furent acquittés de tous les chefs d’accusation. Cependant, le 1er septembre 1934, la production automobile fut arrêtée au profit de la fabrication d’armements. En 1935, Fritz Sauckel obtint une procédure d’appel devant le tribunal régional supérieur d’Iéna tenue à huis clos. Arthur et Julius furent condamnés à une amende exorbitante : 9,75 millions de Reichsmarks. Ne pouvant s’en acquitter, le 28 novembre 1935, les titres de propriété furent transférés à Fritz Sauckel. Le nom « SIMSON » fut retiré de la façade de l’usine. Toute la famille Simson s’enfuit en Suisse et émigra aux États-Unis. En 1936, la production des motocyclettes débuta.

Les automobiles Simson et Simson Supra

L’usine de Suhl fabriqua la Simson Typ A de 1911 à 1912, les Simson Typ B et Bo de 1912 à 1925, les Simson Typ C et Co de 1912 à 1923 et les Simson Typ D et Do de 1913 à 1923. Ces automobiles étaient suffisamment bien étudiées et construites afin d’être assemblées sur une longue période. La Simson Typ D était particulièrement bien motorisée. Son châssis fut exploité pendant la Première Guerre mondiale en tant que camion.

Lorsque Paul Henze retourna chez Simson, il fit fabriquer la Simson Typ F. Son 4 cylindres n’était pas muni de soupapes latérales comme auparavant, mais de soupapes en tête. Selon les sources, elle fut assemblée à un seul exemplaire en tant que prototype ou produite en petite série entre 1923 et 1924. Les nouvelles voitures introduites sur le marché, en 1924, les Simson Supra S et S Sport, étaient équipées d’un double arbre à cames en tête et de 16 soupapes ! Entre 1925 et 1929, ce modèle se dénomma Simson Supra So. Pour réduite les coûts de production, il fut équipé d’un simple arbre à cames en tête et de 8 soupapes. Les Simson Supra 6 cylindres, réalisées entre 1925 et 1934, reçurent un simple arbre à cames en tête jusqu’en 1926 et le servofrein Bosch-Dewandre fut adopté en 1928. Contrairement à celles-ci équipées de soupapes en tête, la Simson Supra 8 cylindres, assemblée entre 1931 et 1934, adopta un moteur muni de soupapes latérales. Les Simson Supra 4 et 6 cylindres se vendirent chacune à 750 unités. La Simson Supra 8 cylindres fut assemblée à 20 exemplaires.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’usine de Suhl se retrouva dans la zone d’occupation soviétique. La fabrication des armes fut stoppée et 4300 machines-outils furent transportées en URSS. La production des fusils de chasse, poussettes, landaus et bicyclettes reprirent. L’usine BMW d’Eisenach reçut l’ordre de transférer les plans de la motocyclette BMW 250 pour fabriquer l’AWO 425 équipée d’un monocylindre de 247cm³ 4 temps. En 1956, celle-ci fut rebaptisée Simson 425 et fut assemblée jusqu’en 1961. Une petite série de compétition reçut un 350cm³ entre 1957 et 1961. En parallèle, furent réalisés des cyclomoteurs, des scooters et des motocyclettes légères équipés d’un monocylindre 2 temps. Ils furent exportés dans 50 pays, dans le bloc de l’Est, au Moyen-Orient et en Afrique. Des tricycles équipés d’une roue avant et d’un monocylindre de 50cm³ furent produits, entre 1959 et 1991, sous la marque Simson. Fin 1991, les employés achetèrent l’usine et les propriétés intellectuelles. L’entreprise fut rebaptisée « Suhler Fahrzeugwerk GmbH ». Entre 1993 et 1996, fut également fabriquée la voiture électrique Hotzenblitz. La société changea plusieurs fois de nom en fonction des investisseurs présents. Elle devient « Simson Gewerbepark GmbH » en 1996, puis « Simson Motorrad GmbH & Co KG » en 2000. En février 2003, l’usine de Suhl arrêta sa production après avoir réalisé 6 millions de deux-roues. Meyer-Zweiradtechnik-Ahnatal GmbH acheta les actifs aux enchères. Il poursuit la fabrication de pièces de rechange et de moteurs plus modernes pour prolonger la vie des deux-roues survivantes.

Les automobiles Steiger

Un bond technologique existe entre les Simson équipées d’un 4 cylindres muni de soupapes latérales et les Simson Supra équipées d’un 4 cylindres muni d’un double arbre à cames en tête et de 16 soupapes. Le chaînon manquant est l’automobile Steiger.

La famille suisse Steiger travaillait dans l’industrie du textile. Les usines étaient implantées à Ulm et Söflingen en Allemagne. Johann Georg Walther Steiger (1881-1943) fit des études de chimiste en Suisse. En 1914, les salariés furent recrutés par les usines d’armement. Johann Georg Walther Steiger fut obligé d’ouvrir un très vaste atelier d’entretien et de réparation destiné aux avions militaires à Burgrieden, ville située à 23km d’Ulm. Ce choix réalisé par l’armée allemande n’était pas anodin. Les usines Steiger fabriquaient, entre autres, un tissu robuste et imperméable dénommé « kaliko ». Il recouvrait les ossatures en bois des avions de combat. Johann Georg Walther Steiger avait les compétences pour procéder aux réparations. Par contre, il connut des difficultés dans l’entretien des moteurs.

L’armée allemande mobilisa Paul Henze et l’affecta aux ateliers de Burgrieden. Pendant le conflit, ce dernier étudia, développa et essaya sur un banc d’essais un 4 cylindres muni d’un arbre à cames en tête. En 1919, la Steiger 10/50PS fut présentée. En février 1920, les premiers exemplaires furent livrés. Les équipements électriques furent fournis par Bosch : démarreur, alternateur et système d’allumage magnétique de type « ZF4 ». Les moteurs furent équipés d’un double allumage jusqu’en 1924. La boîte à vitesses avait 4 rapports. Le présélecteur mécanique par câble ZF Soden était disponible en option dès 1921. Trois variantes furent ajoutées, mais sur certains marchés à l’instar des Etats-Unis, il était possible de commander un châssis long avec le moteur le plus puissant. Fort des résultats obtenus, Paul Henze quitta la société Steiger Automobilbau Burgrieden pour retourner chez Simson.

Johann Georg Walther Steiger fut interrogatif quant à l’avenir de l’Allemagne au cours de la période d’hyperinflation comprise en 1922 et 1924. En 1924, il acheta avec son frère, Jakob Robert Steiger (1878-1951), le vénérable constructeur suisse Martini dont l’usine était implantée à Saint-Blaise sur le lac de Neuchâtel. En 1926, la production de l’usine de Burgrieden cessa. Entre 1928 et 1934, des automobiles Martini furent vendues en Allemagne sous la marque Steiger-Martini.

Article co-écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives

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