Interview automobile : La Citroën Rosalie Speedster, la renaissance d’une voiture oubliée (2/2)

La restauration d’une voiture ancienne est toujours le résultat d’un dur labeur. Mais quel bonheur ! Quelle satisfaction de voir sa voiture rouler à nouveau sur les routes. D’autres se lancent dans l’incroyable aventure de reconstruire une voiture unique, hélas, disparue ! ABSOLUTELY CARS rend hommage, ce mois-ci, au travail d’un passionné, Alain Lassalle, qui mit en œuvre tout son savoir-faire pour faire revivre un exemplaire spécial, présenté sous forme de prototype : la Citroën Rosalie Speedster de Jean Daninos. Ce projet est sa plus grande réussite personnelle et sa plus grande fierté. Et il faut dire que le résultat est magistral ! Après une première partie consacrée à la reconstruction de ce modèle où chaque étape de cet immense projet vous a été détaillée, nous vous proposons de découvrir cette sublime Citroën Rosalie Speedster de 1933, seule réplique officiellement reconnue, à travers le regard de celui qui l’a imaginé : son concepteur-architecte !

Nous sommes tombés en admiration devant ce modèle lors du salon Automédon 2019. Nous ne savions pas alors son histoire, ni l’incroyable travail qui avait été réalisé. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ? Comment vous est venue l’idée de concevoir et reconstruire cette Citroën Rosalie 15 “Speedster” ?

Déjà passionné de Citroën anciennes, j’ai été embauché au sein de la marque en 1973. En lisant un livre, justement, j’ai vu cette Citroën Rosalie 15 “Speedster” qui a été attribué à Jean Clément Daninos, en 1986, par Jacques Borgé et Nicolas Viasnoff (auteurs du livre “La Traction d’amour, un roman”, ndlr). Cette image, encore présente dans la médiathèque Citroën, m’est restée en tête. En parallèle à cela, j’avais, avec deux amis, un projet : concevoir une réplique de Citroën Traction 22. Mais cela ne s’est pas réalisé après une mésentente financière. A partir de ce moment là, je me suis décidé à continuer sur mon idée et de construire une réplique de véhicule. Ce fut la Citroën Rosalie 15 Speedster. Il s’agit d’une voiture sublime avec une ligne d’inspiration américaine que l’on doit à Jean Daninos, alors carrossier spécial de Citroën, et André Citroën. Ce dernier était en relation forte avec Chrysler.

Remontons le temps, à l’époque d’André Citroën. Quelle aurait été sa réaction face à votre réalisation ?

Je pense qu’il serait partagé entre le sentiment de protéger son entreprise et le look de la voiture, car lorsque ce véhicule a été présenté à André Citroën, en 1933, celui-ci a déclaré: “Ne la présentez pas. On ne vendra pas plus de voitures de série.”. En effet, en grande difficultés financières, la clientèle connaissait déjà la venue de la Citroën Traction et les ventes de la Citroën Rosalie ne cessaient de chuter. Si Jean Daninos avait présenté cette déclinaison de la Citroën Rosalie, plus esthétique et plus racée que celle, alors, commercialisée, Citroën n’aurait plus, du tout, vendue de Rosalie. La réticence de Citroën est visible à travers de la presse qui n’a pas fait la promotion à grande échelle.

Aujourd’hui, si ces deux personnages étaient encore vivants, ils prendraient du plaisir à retrouver cette voiture, en particulier Jean Daninos. On lui a, notamment, présenté une voiture en cours de restauration : une Bentley Cresta. Au terme du processus, il l’a boudé. Il manquait deux pièces, d’où un caractère très, voire trop, pointilleux. De nos jours, la production se ferait sur demande ou en quantité limitée.

recherche couleurs et matieres 1

Comment pouvons-nous qualifier cette Citroën Rosalie 15 Speedster ? En trois mots ?

Je dirais esthétique, ostentatoire et luxueuse pour son époque. Sa répartition de volume et de masse diffère vraiment de la gamme proposée à l’époque. De plus, le choix des couleurs, avec mon épouse, a été difficile. On a longtemps cherché la teinte. Cela nous a pris au moins un an ! Je pense qu’on a trouvé la bonne. C’est une voiture que l’on peut utiliser dans beaucoup de circonstances et balades du week-end. La Citroën Rosalie 15 Speedster s’intègre parfaitement dans la circulation d’aujourd’hui.

Ce modèle a mis 6 ans pour voir le jour. Quel a été le processus mis en place pour réaliser ce modèle unique ?

Contrairement aux méthodes actuelles, c’est-à-dire numériques, comme j’ai pu les utiliser, le process, pour cette Citroën Rosalie Speedster, fut empirique. J’ai commencé par la réalisation de plans à la main, à partir de trois photos, une d’archive et deux trouvées sur le net. L’appui de l’Amicale Facel-Vega et le dédoublement de ma personne en “Jean Daninos” et “Figoni” (carrossier italien ayant travaillé sur le modèle originel, ndlr), m’ont permis d’en comprendre l’architecture. Le châssis est celui de la Citroën Rosalie 15 mais la carrosserie est issu de l’esprit de ces carrossiers. Le premier était spécialiste dans l’acier et le second dans le bois. J’ai pris le parti pris de concevoir la Citroën Rosalie 15 Speedster intégralement en acier. Un bon choix, car cela s’est confirmé avec des archives de Facel Vega : la structure était uniquement en acier.

Comment avez-vous fait pour vérifier les caractéristiques techniques et mécaniques de la Citroën Rosalie de Jean Daninos ?

Il y a très peu d’endroits qui permettent de corroborer mes plans et ceux de l’époque. Citroën ne disposait d’aucune information et l’Amicale Facel-Vega n’avait quelques références. C’est pour cela que je me suis mis à la place de Jean Daninos et Figoni. A part la caisse en acier, le reste est de série. On parle de “Carry over” (c’est-à-dire de reporter des pièces déjà existantes sur d’autres modèles, ndlr), méthode employée par Jean Daninos pour la Citroën Rosalie et la Citroën C6.

Pouvez-vous nous dire combien d’heures de travail avez-vous consacré à ce projet ?

Je les ai estimées à environ 5000 heures de travail, sachant que l’ensemble a pris forme à mon domicile, dans mon garage de 25m2 dont la largeur est de 2,90 mètres ! On ne travaillait que sur un côté à la fois. On peut dire que c’est un projet d’artisan, sur-mesure, avec un bagage automobile personnel conséquent. Sans ça, je n’y serais pas parvenu aussi bien, autant l’esthétique que pour l’architecture. Il faut avoir une bonne synthèse de la voiture avec ce qu’elle va produire comme effet sur le public et le comportement routier, principalement en matière de sécurité.

Ce projet était titanesque. L’avez-vous réalisé seul ou avez-vous collaboré avec d’autres personnes ?

Un carrossier, à qui j’ai confié les pièces pré-montées, a réalisé les soudures et l’assemblage. Un sellier s’est chargé des sièges et a réalisé les coutures sur une ossature préalablement conçue par mes soins. La capote fut réalisée en famille avec ma belle-sœur qui s’occupe de confectionner des blousons de cuir. Le châssis est issu de mes anciens collègues de travail, chez D3 Concept Car.

Enfin, côté mécanique, le bloc-moteur est intégralement fait maison, sans faire appel à un professionnel. Seul le système de freinage a nécessité l’intervention d’une petite entreprise de tournage-fraisage locale qui m’a repris certaines pièces et les tambours. Dans tous les cas, on n’oublie pas les amis et la famille qui comptent et qui font la réussite cette aventure humaine. Nos connaissances et compétences ne suffisent pas.

Pour ce projet, avez-vous reçu un soutien particulier de passionnés, de clubs ou encore Citroën ?

Pour faire un tel projet, il faut avoir l’appui des responsables de la marque à l’image de L’Aventure Peugeot-Citroën et de Citroën Héritage. On ajoute l’accompagnement des passionnés et clubs de collectionneurs. Ces derniers doutaient fortement du projet mais à la vue de celui-ci, ils ne pouvaient que constater le résultat final. Il ne faut pas oublier l’assurance qui doit prendre en charge un véhicule type “prototype” avec l’ensemble des modifications apportées. Les dossiers administratifs ont été appuyés par la préfecture. C’est un sujet qui peut en rebuter beaucoup ! Il s’agit déjà de posséder la voiture “donneuse”, celle qui donne son châssis. On demande alors au constructeur de délivrer un certificat d’authenticité qui approuve que le véhicule a bien existé et qu’il s’agit bien d’une réplique. Dans le cas présent, le modèle originel est “transformé”. J’ai donc présenté la carte grise de collection à la préfecture. On présente la voiture avec un contrôle technique, mais celle-ci n’en disposait pas. Une dérogation est alors délivrée par le préfet : une carte grise sans CT. Le destin a voulu que je sois tombé sur un passionné “Citroën” qui a, tout de suite, compris la démarche.

Cette Citroën Rosalie 15 Speedster a réalisé quelques événements et salons : La Ferté-Vidame avec le Centenaire Citroën, le salon Automédon 2019 et le salon Epoqu’auto 2019. Quel est l’engouement des passants et automobilistes qui la croisent ?

Il y a une part d’admiration et en même temps d’incrédulité, car quand on parle de réplique, on doute. Les puristes les plus affûtés la prennent pour une américaine et sur le fond, ils n’ont pas tort car les chevrons ne figurent pas sur la calandre (les chevrons Citroëns sont apparus sur les calandres à partir de 1934, ndlr). De ce fait, elle se rapproche de la Chrysler Impérial 8. Je trouve ça très flatteur de disposer d’une voiture française au gabarit outre-Atlantique ! (rires) Il faut savoir que Citroën a envoyé spécialement Jean Daninos aux Etats-Unis pour rencontrer les équipes de Chrysler ! Lorsqu’il a créé la Citroën C6 Roasdter, son premier prototype construit par la suite à 400 unités, il avait préconisé un style américain. La Citroën Rosalie Speedster de 1933 est, en soi, un anachronique, car il travaillait déjà sur la Citroën Traction.

Généralement, les puristes n’apprécient pas les répliques, leur préférant les voitures originales. Mais avec la Citroën Rosalie 15 Speedster, nous sommes dans un cas très spécial, vu que l’originel a, hélas, disparu. Qu’en pensent les puristes? Avez-vous eu des retours à ce sujet ?

Ils m’ont apportés des conseils ! Il s’attachent moins à l’esthétique qu’aux détails. Les Citroënistes ont été plus minutieux dans l’analyse de la voiture, tout en me conseillant. La communauté Citroën a totalement adhéré au projet. Elle a suivi les avancées de la carrosserie, notamment lors de l’ICCCR 2016 en Hollande, avec la promesse de voir la voiture au Centenaire ! On avait des objectifs à tenir !

Nous demandons toujours aux propriétaires, lors de nos interviews, les qualités et les défauts de leur voiture.

Comme toute voiture, nulle n’est parfaite. Je dirais que, pour cette Citroën Rosalie 15 Speedster, la mise au point mécanique est assez difficile, tout comme le système de freinage. Au niveau de la conduite, l’agrément mérite d’être optimisé, car il n’est pas à la hauteur du véhicule. Je la qualifie de “camionesque ” compte tenu de sa direction lourde et sollicitant fortement les bras ! (rires)

Comme nous l’avons déjà dit, vous avez participé à de nombreux événements avec cette très belle Citroën Rosalie Speedster. Quel est le plus mémorable pour vous ?

Le plus mémorable reste et restera celui de la Ferté-Vidame lors du Centenaire Citroën. La voiture était installée sur le carrousel des “Amis de la Traction de l’Aigle”. Près de 60 00 personnes l’ont observé et les commentaires étaient toujours positifs !

Je pourrai également citer Automédon où plus de 15 000 visiteurs s’y sont rendus. La voiture était placé à l’entrée donc immanquable ! Enfin il y a eu la “Bourse de L’Aigle“, organisée par les “Amis de la Traction de l’Aigle” qui a réuni autant de monde qu’Automédon. La Citroën Rosalie Speedser tournait sur son carrousel. Le dernier en date est le Salon Epoqu’Auto, de Lyon, en octobre 2019 et ses 60 000 visiteurs, avec dès l’entrée la Citroën Rosalie 15 Speedster. Aucune critique autour de la restauration. La sympathie est plus présente du coté de Facel Vega que de Citroën.

Exposer sa voiture dans de tels événements est toujours très particulier pour tout collectionneur. Qu’avez-vous ressenti lors du dernier coup de polish, juste avant l’ouverture ?

Cela peut paraître curieux, mais on n’a pas l’impression que c’est fini. On a le même sentiment que lorsque l’on peaufine un concept-car. La voiture est partie à la Ferté-Vidame avec encore des aspects à revoir. Mais une promesse reste une promesse : elle était présente. La prochaine étape : que je m’habitue à la conduite avec le gabarit, les passages de vitesse,…

Article écrit par : ABSOLUTELY CARS
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Alain Lassalle – Auto Rêves Voisins

Cet article vous a plu ? Retrouvez la première partie de cet article à lire ici : La Citroën Rosalie Speedster, la renaissance d’une voiture oubliée (1/2)


Une réflexion sur “Interview automobile : La Citroën Rosalie Speedster, la renaissance d’une voiture oubliée (2/2)

Laisser un commentaire