Christine : de la Plymouth Fury à la Gräf & Stift 28/32PS, fiction ou réalité ?

Qui ne connaît pas le fameux film « Christine » ou « John Carpenter’s Christine » dans sa version d’origine ? Réalisé par John Carpenter (1948-…) et sorti en 1983, ce thriller fantastique reprend tous les codes du genre et bien plus encore ! De ce fait, il fut interdit aux moins de 12 ans ! Et pour cause, il tire sa force du roman éponyme du célèbre écrivain Stephen King (1947-….). En scène, nous retrouvons l’histoire d’une automobile surnaturelle et malveillante qui prend petit à petit le contrôle de l’adolescent qui l’a achetée et restaurée. Jalouse, elle tue ceux qui essaient de les séparer. Bref un film de voiture comme nous les aimons ! Mais si la réalité dépassait la fiction ? Si « Christine » existait bien, quelque part dans notre monde, sous une autre forme que l’éternelle Plymouth Fury ?

La Plymouth Fury, une dame au fort caractère dans « Christine »

Arnie Cunningham, rôle joué par Keith Gordon (1961-….), un adolescent timide, tombe sous le charme d’une Plymouth Fury de 1957 (année modèle 1958), rouge et en piteux état, baptisée Christine. Une fois restaurée, elle est vandalisée. Cette voiture a la capacité de s’auto-cicatriser et tue toute personne qui lui en veut ou qui s’immisce entre elle et son nouveau propriétaire. Arnie Cunningham entre en symbiose avec « Christine » et adopte de plus en plus le caractère de cette voiture. Son meilleur ami, Dennis Guilder, rôle joué par John Stockwell (1961-….), et sa petite amie, Leigh, rôle joué par Alexandra Paul (1963-….) essaient de gérer tant bien que mal la situation. Bref un véritable film qui met au centre de son synopsis la voiture en star de cinéma !

La Plymouth Fury, avant tout une histoire américaine

Au sein du Groupe Chrysler, la marque Plymouth constituait une gamme populaire à l’instar de Ford pour le Groupe Ford et Chevrolet pour le Groupe General Motors. En 1955, fut lancée un coupé Hardtop exceptionnel : la Plymouth Fury. Rien que son nom était une invitation à la conduite sportive ! Il fut exploité jusqu’en 1978, la dénomination « Grand Fury » étant utilisée de 1975 à 1989.

La Plymouth Fury 1956 n’avait que 2 phares. Sa boîte à vitesses avait 3 rapports. Sa suspension avant à roues indépendantes exploitait des ressorts hélicoïdaux. Ses freins à tambours étaient assistés hydrauliquement. Son empattement était de 2,92m, sa longueur de 5,2m. Ses options principales étaient l’overdrive pour la boîte à vitesses manuelle et la boîte à vitesses automatique PowerFlite 2 rapports. Elle était disponible avec une unique couleur extérieure claire agrémentée d’une décoration latérale dorée. Etant la plus chère des Plymouth proposées, elle ne fut produite qu’en 4 485 exemplaires.

La Plymouth Fury 1957 avait 4 phares. Sa suspension avant était confiée à des barres de torsion longitudinales. Son empattement était de 3m, sa longueur de 5,23m. Son option principale était la boîte à vitesses automatique TorqueFlite 3 rapports. Elle fut réalisée en 7 438 exemplaires.

La Plymouth Fury 1958 était similaire au modèle 1957. Elle fut construite en 5 303 exemplaires.

La Plymouth Fury 1959 était disponible en 2 portes Hardtop, 4 portes Hardtop, 4 portes Sedan. Sa longueur était de 5,29m. Une palette de couleurs extérieures était proposée. Elle fut produite en 65 257 exemplaires. Une variante dénommée Plymouth Sport Fury était proposée en 2 portes Hardtop et cabriolet, réalisés respectivement en 17 867 et 5 990 exemplaires.

La Plymouth Fury 1960 fut équipée d’une caisse autoporteuse reposant sur un châssis et disponible également avec un 6 cylindres en ligne. Sa longueur était de 5,32m. Elle fut construite en 55 487 exemplaires dont 7 080 en cabriolet uniquement proposé avec un V8.

La Plymouth Fury 1961 perdit ses ailes arrière saillantes. Sa longueur ne changea pas. Elle fut produite en 54 215 exemplaires dont 6 948 en cabriolet uniquement proposé avec un V8.

La Plymouth Fury 1962 changea de longueur d’empattement. Une version break compléta la gamme. Une nouvelle aventure commerciale commençait.

Notre Plymouth Fury répondant au nom de Christine est de couleur rouge, une commande spéciale d’après le livre et le film. Elle est tout simplement sublime. Son rendu sur les images est magnifique. Une vingtaine de voitures furent utilisées dans le film, notamment des Plymouth Belvedere ou Plymouth Savoy maquillées en Fury, car elles étaient disponibles en plus grand nombre.

Tout le monde rêve d’une automobile auto-cicatrisante, mais « Christine » a-t-elle existée ?

La sombre histoire d’une Christine qui a réellement existé : la Gräf & Stift 28/32PS

L’archiduc François-Ferdinand d’Autriche-Este (1896-1914), héritier du trône de l’Empire Austro-hongrois, et son épouse, Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg (1868-1914) furent assassinés à bord d’une voiture maudite par deux coups de pistolet tirés par Gavrilo Princip (1894-1918), à Sarajevo, le 28 juin 1914, à 10h45. Auparavant, à 10h15, elle reçut une bombe qui ricocha sur sa carrosserie et se glissa sous la voiture suivante, blessant les occupants de celle-ci. Le double assassinat déclencha la Première Guerre mondiale… 10 millions de morts, 8 millions d’invalides, un bilan amplifié par le grippe espagnole avec ses 30 millions de morts supplémentaires.

Cette voiture était immatriculée AIII118. Connaissait-elle la date de l’armistice : Armistice 11/11/18 ? Elle aurait eu 15 propriétaires au cours des 12 années suivantes et aurait été impliquée dans de nombreux accidents générant 13 décès !

Le premier propriétaire de la voiture fut le lieutenant-colonel Franz von Harrach (1870-1937). Le second fut le général autrichien Oshar Potiorek (1853-1933) qui fut présent dans la voiture lors de l’attentat, nourrit par la suite des pensées suicidaires. Le propriétaire suivant, neuf jours après son acquisition, un officier de l’armée allemande eut un accident en essayant d’éviter deux piétons qui traversèrent la chaussée devant lui. La voiture finit contre un arbre entraînant la mort des deux malheureux imprudents et de l’officier. Le nouvel acquéreur se suicida très rapidement. Un gouverneur serbe en devint propriétaire ; il se retrouva impliqué dans quatre accidents successifs et y laissa un bras. Son ami, chirurgien, acquit la voiture, eut un accident et décéda. Un pilote de course suisse s’en enticha et partagea le même sort. Le propriétaire suivant n’eut même pas l’occasion de la conduire ; au moment où la voiture lui fut livrée, elle se retrouva brusquement libérée de ses chaines et fonça tout droit sur lui. Le dernier propriétaire était un certain Tiber Hirshfeld, un propriétaire de garage roumain ; lors d’un mariage, il conduisit cette voiture et cinq de ses amis ; un accident survint engendrant cinq décès.

En 1926, notre « Christine » rejoignit le Musée de l’Histoire militaire de Vienne avec seulement 8596 km au compteur. L’aile nord du bâtiment fut détruite lors d’un raid aérien en 1944. Malgré les vols et pillages perpétués par l’Armée rouge et la population, cette Gräf & Stift 18/32PS ne subit aucun dommage.

A noter que m’empereur d’Autriche et roi apostolique de Hongrie, François-Joseph 1er (1830-1916), a connu de nombreux événements familiaux tragiques :

  • son frère, Ferdinand Maximilien de Habsbourg-Lorraine, empereur du Mexique, fusillé le 19 juin 1887 à l’âge de 34 ans,
  • son fils, Rodolphe François Charles Joseph de Habsbourg-Lorraine suicidé ou assassiné à l’âge de 30 ans à Mayerling le 30 janvier 1889,
  • son frère, Charles-Louis de Habsbourg-Lorraine, décéda le 19 mai 1896 à l’âge de 62 ans de la fièvre typhoïde après avoir bu l’eau du Jourdain lors d’un pèlerinage,
  • son épouse, Élisabeth de Wittelsbach, dite « Sissi », impératrice d’Autriche et reine de Hongrie, fut assassinée le 10 septembre 1898 à Genève à l’âge de 61 ans,
  • son neveu, Otto de Habsbourg-Lorraine, fils de Charles-Louis, mort de la syphilis le 1er novembre 1906 à l’âge de 41 ans,
  • son neveu, l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche-Este, fils de Charles-Louis, assassiné le 28 juin 1914 à Sarajevo à l’âge de 50 ans.

François-Joseph 1er eut comme successeur Charles François Joseph de Habsbourg-Lorraine (1887-1922), fils d’Otto, empereur d’Autriche sous le nom de Charles 1er, roi de Hongrie sous le nom de Charles IV et roi de Bohême sous le nom de Charles III.

Coup de projecteur sur les Gräf & Stift

Vendre des voitures en ce début du XXe siècle dans l’empire austro-hongrois était mission impossible. Les ménages très aisés étaient concentrés sur Vienne qui est entourée par les Alpes et les Carpates, les automobiles devant être capables de franchir les cols. Avant la Première Guerre mondiale, les principaux acteurs étaient :

  • Nesselsdorfer-Wagenbau (1897-1920) qui deviendra Tatra,
  • Lohner-Porsche (1898-1906),
  • Austro-Daimler (1899-1934),
  • Laurin & Klement (1905-1925) qui deviendra Laurin&Klement-Škoda (1925-1929) puis Škoda,
  • Puch (1906-1923),
  • Austro-Fiat (1907-1925),
  • RAF (1907-1913),
  • Praga (1907-1947),
  • Walter (1908-1937).

Pour Gräf & Stift, l’aventure commença avec Wilhelm Stift qui fabriqua au cours de l’année 1901 des Celeritas équipées d’un bicylindre de 635cm³ implanté à l’avant développant 6,5ch à 1200tr/mn, munies d’une boîte à vitesses 2 rapports. Elles se présentaient sous la forme d’un roadster biplace. Il s’associa la même année avec les frères Franz, Heinrich et Karl Gräf, ces derniers possédant une fabrique de bicyclettes à Vienne et expérimentaient un véhicule extraordinaire. Leur biplace était équipé également de 4 roues, d’un monocylindre De Dion-Bouton de 402cm³, d’une boîte à vitesses 2 rapports et d’un différentiel évidemment. Cependant, cette voiture était une traction, une première mondiale en 1897. Les frères Gräf essayèrent deux prototypes jusqu’en 1900.

L’entreprise en nom collectif fabriqua des propulsions selon les « desiderata » d’Arnold Spitz, un vendeur viennois très en vue, qui fit faillite en 1907. La même année, elle devint une société anonyme. L’administration publia un premier bilan : 2314 automobiles et 4387 motocyclettes étaient immatriculées dans l’empire. U appel d’offres fut publié pour s’équiper de camions militaires et la nouvelle société remporta le marché.

La firme réalisa alors des automobiles équipées d’un 4 cylindres muni de soupapes latérales et de boîte à vitesses 4 rapports, tout d’abord les modèles Gräf & Stift 16PS et Gräf & Stift 24PS, puis à partir de 1908, les modèles Gräf & Stift 16/22PS de 4,24 litres, Gräf & Stift 18/32PS de 5,88 litres, Gräf & Stift 28/45PS de 7,36 litres, Gräf & Stift 35/65PS de 10 litres qui libéraient leurs puissances maximales à 1400tr/mn. En 1910, ils changèrent de dénomination selon de nouvelles règles fiscales, Gräf & Stift 18/22PS, Gräf & Stift 28/32PS, Gräf & Stift 40/45PS, Gräf & Stift 60/65PS.

L’attentat de Sarajevo rendit célèbre la Gräf & Stift 28/32PS. A la fin du conflit, la Gräf & Stift 40/45PS impériale, au demeurant légendaire, suivit le dernier empereur d’Autriche déchu de toute fonction, exilé en Suisse.

Pendant l’entre-deux-guerres, Gräf & Stift continua la fabrication de voitures, toutes équipés d’une boîte à vitesses 4 rapports hormis la Gräf & Stift MF6, clone réalisé sous licence de la Citroën Rosalie, et la Gräf-Ford V8 munies d’une boîte à vitesses 3 rapports.

Les conséquences de l’Anschluss de mars 1938 furent l’arrêt de la fabrication des voitures et l’augmentation de la production des camions. Entre 1907 et 1938, furent réalisées environ 3500 voitures.

Alors d’après vous, Christine a-t-elle réellement existé ? Ou n’est-ce qu’une coïncidence comme l’Histoire de l’automobile aime s’en amuser ?

Article co-écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’Archives

Cet article vous a plu ? Retrouvez un autre article à lire ici : L’Alfa Romeo Spider Duetto, une « lauréate » à la robe pourpre


Laisser un commentaire