Studebaker (partie 1/2), « Detroit, ton univers impitoyable… »

Le générique de la série télévisée Dallas peut être utilisé en remplaçant « Dallas » par « Detroit » et « pétrole » par « automobile ». En effet, au début du XXe siècle aux Etats-Unis, les pionniers de l’automobile naissante se transformèrent rapidement en hommes d’affaires. La marque Studebaker, qui fête ses 120 ans cette année en tant que constructeur de voitures, en est un exemple représentatif. ABSOLUTELY CARS vous invite à redécouvrir les marques qui permirent la naissance de Studebaker ou gravitèrent autour d’elle : Studebaker-Garford, Garford, Northern, Wayne, De Luxe, EMF, Flanders, Everitt, King, Rickenbacker, Erskine, Rockne

Studebaker : un début tumultueux

La famille Studebaker fabriqua des véhicules hippomobiles entre 1750 et 1920. Dans ce domaine d’activité, l’entreprise était réputée pour être la plus importante au monde. Cinq frères Studebaker, Henry (1826–1895), Clement (1831–1901), John Mohler (1833–1917), Peter Everst (1836–1897) et Jacob Franklin (1844–1887), s’employèrent à la développer. Frederick Samuel Fish (1852-1936), avocat exerçant entre 1876 et 1890 à New York et dans sa banlieue (plus précisément à Newark), procureur à Newark entre 1880 et 1884, membre de l’Assemblée générale du New Jersey entre 1884 et 1885, membre du Sénat du New Jersey du comté d’Essex entre 1885 et 1887, épousa Grace en 1891, la fille de John Mohler Studebaker (1833-1917). Il prit en charge l’entreprise familiale, en fut président à partir de 1909, puis président du conseil d’administration entre 1915 et 1935. Sa première idée fut de fabriquer des voitures électriques. Cette nouvelle activité s’exerça entre 1902 et 1911. Cette opération était facile à mettre en place car Studebaker disposait d’un réseau commercial étendu et d’une trésorerie importante pour acheter les batteries et les moteurs provenant notamment de Westinghouse. Les motorisations électriques étaient de faible puissance et pouvaient être doublées (deux moteurs électriques). Elles nécessitaient l’utilisation d’une boîte à vitesses 4 rapports, 5 rapports sur les derniers exemplaires. Des camions furent également réalisés. 1800 véhicules électriques furent construits par la Studebaker Brothers Manufacturing Company implantée à South Bend dans l’Indiana.

Devant l’échec commercial des véhicules électriques Studebaker, Frederick Samuel Fish démarcha Arthur Lovett Garford (1858-1933). Ce dernier créa à Elyria dans l’Ohio, la Garford Manufacturing Company pour fabriquer des composants de bicyclettes, la selle rembourrée ayant été inventée par ses soins. En 1893, la société fut rebaptisée Automobile & Cycle Parts Company, puis Federal Manufacturing Company. Quelques années après, Il démissionna et fonda Garford Company en 1903. Une joint-venture fut immédiatement créée entre ce dernier et Frederick Samuel Fish et fut dénommée Studebaker-Garford. Les premières voitures prirent la route munies d’un bicylindre d’une puissance comprise entre 8 et 16 chevaux. En 1905, une voiture d’un empattement de 2,44m vit le jour, mais les 20 chevaux annoncés ne généraient pas de différence notable avec la bicylindre de 16 chevaux. En 1906, une nouvelle gamme beaucoup plus crédible apparut. Cependant, Frederick Samuel Fish ne fut pas satisfait des marges réalisées et mit un terme à cette joint-venture en 1911. Arthur Lovett Garford continua seul, montant en gamme avec des 6 cylindres pour dégager des liquidités, généralisant la boîte à vitesses 4 rapports pour plus de crédibilité, ceci afin de développer son réseau commercial. En 1913, John North Willys (1873–1935) acheta l’usine et la société Edwards-Knight de Manhattan pour obtenir le brevet des moteurs sans soupape. Ainsi débuta l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire de l’automobile avec les Willys-Knight.

La particularité des Studebaker-Garford résidait dans les doubles données ayant trait à la puissance de leurs moteurs. Le modèle M de 1910, équipé d’un 4 cylindres de 4681cm3, offrait un « Rated Horsepower » de 30,63hp et un « Brake Horsepower » de 28hp. Le modèle H de 1910, muni d’un 4 cylindres de 4599cm3, offrait un « Rated Horsepower » de 27,23hp et un « Brake Horsepower » de 30hp. Le non respect du référentiel ALAM par Henry Ford (1863-1947) et par Arthur Lovett Garford permit de communiquer auprès du public, les puissances réelles des moteurs.

Tableau n°1 Studebaker

Dès 1908, Frederick Samuel Fish s’intéressa à une nouvelle société, l’EMF company créée le 2 juin 1908 à Detroit. Les 3 lettres de l’entité correspondaient aux noms des fondateurs : Byron Forbes Everitt (1873-1940), carrossier et investisseur, William Ernest Metzger (1868–1933) vendeur émérite et Walter Emmett Flanders (1871–1923), expérimenté dans la mise en application des méthodes de travail énoncées par Frederick Winslow Taylor (1856-1915). Ils acquirent partiellement trois sociétés, Northern, Wayne et en 1909, De Luxe. La Northern Manufacturing Company fut créée par Charles Brady King (1868-1957) et Jonathan Dixon Maxwell (1864-1928). Ils fabriquèrent un Runabout qui connut un joli succès commercial, puis diversifièrent la gamme. La Wayne Automobile Company fut fondée en 1902 par Charles F. Palms qui voulut rendre hommage au Général Anthony Wayne (1745-1796). La production des automobiles débuta en 1904. Ces deux usines furent exploitées pour produire l’EMF 30 series. La De Luxe Motor Car Company fut créée à Toledo dans l’Ohio en 1906, puis déménagea à Detroit. Ce site de production fut utilisé pour réaliser la Flanders 20 series. Frederick Samuel Fish distribua des EMF et des Flanders au travers de son réseau commercial fort de 4000 points de vente, sans s’engager en termes de volume de vente. Byron Forbes Everitt et William Ernest Metzger n’apprécièrent pas cet accord et quittèrent la société en 1909. Frederick Samuel Fish commença à réduire le volume de distribution des voitures pour reprendre à vil prix les usines d’EMF et de Flanders. La banque JP Morgan acheta discrètement les parts sociales d’EMF aux actionnaires, puis les revendit à la banque Goldman Sachs. Pendant ce temps, Walter Emmett Flanders tenta de développer un réseau de vente indépendant. En 1912, les distributeurs de Studebaker ne vendirent aucune voiture et procédèrent à une campagne de rappel pour améliorer l’EMF 30 series (en y installant une pompe à eau) et la Flanders 20 series (en remplaçant sa boîte à vitesses 2 rapports par une munie de 3 rapports), ceci pour également discréditer Walter Emmett Flanders. Finalement, entre 1912 et 1913, ces usines de Detroit devinrent la propriété des actionnaires de Studebaker.

La Flanders 20 series, pouvait-elle rivaliser avec la Ford T ?

La Ford T Runabout de 1910 était équipée d’un 4 cylindres de 2896cm3 muni de soupapes latérales délivrant 20ch à 1200tr/mn, d’une boîte à vitesses 2 rapports, d’un châssis d’un empattement de 2,54m. Sa vitesse maximale était de 68km/h. Son prix était de 900 dollars.

La Flanders 20 Runabout de 1910 était équipée d’un 4 cylindres de 2537cm3 muni de soupapes latérales délivrant 20ch à 1100tr/mn, d’une boîte à vitesses 2 rapports, d’un châssis d’un empattement de 2,54m. Sa vitesse maximale était de 68km/h. Son prix était de 750 dollars !

De leurs côtés, Byron Forbes Everitt et William Ernest Metzger créèrent à Detroit la Metzger Motor Car Company pour fabriquer des Everitt. La série 30 était similaire à l’EMF 30 series, mais la course des pistons était allongée d’un quart de pouce et l’empattement était différent pour éviter tout problème généré par une éventuelle accusation de vol de propriété intellectuelle. Par contre, l’Everitt 6-48 series possédait le même 6 cylindres de 5869cm3 que la Flanders 50 series. En 1912, les Everitt furent retirées du marché.

Quant à Charles Brady King, inventeur du marteau-piqueur en 1895, co-fondateur de la Northern Manufacturing Company, il créa la King Motor Company en 1911 à Detroit après un voyage initiatique de deux ans en Europe. La société réalisa des automobiles munies d’un 4 cylindres jusqu’en 1915. En décembre 1914, deux mois après le lancement de la Cadillac V8, apparut la King V8 ! En 1923, l’entreprise déménagea à Buffalo dans l’Etat de New York. La production s’arrêta en 1925 et aucune King ne fut équipée des freins à tambours sur les 4 roues.

Byron Forbes Everitt et Walter Emmett Flanders se réassocièrent pour créer la Rickenbacker Motor Company en juillet 1921 à Detroit. Le troisième associé était Edward Vernon Rickenbacker (1890-1973) dit « Eddie Rickenbacker ». Il était pilote de courses avant la Première Guerre mondiale. Pendant le conflit, il devint le pilote d’avions le plus titré des Etats-Unis avec 26 victoires. Il fut embauché par William Crapo Durant (1861-1947) pour le compte de la General Motors afin de promouvoir l’éphémère marque Sheridan. Libre de tout engagement, il conçut une automobile munie d’un 6 cylindres et de 4 freins à tambours optionnels. Cette voiture fut présentée le 7 janvier 1922. La particularité résidait dans le montage de deux volants d’inertie, de part et d’autre du vilebrequin afin de réduire les vibrations. En effet, pendant le conflit, Eddie Rickenbacker s’était aperçu que les avions allemands bénéficiaient de ce perfectionnement. Le sigle de la marque était le « Hat in the ring », en hommage au 94ème Escadron de Chasse. Le 27 juin 1923, Rickenbacker annonça le montage en série des 4 freins à tambours, 16 jours après que Packard fît la même déclaration. Deux sociétés menèrent des publicités négatives contre cette innovation. Ford et Studebaker affirmèrent que les freins sur les 4 roues étaient dangereux : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » comme disait le philosophe Francis Bacon. En 1924, fut lancée la gamme équipée d’un 8 cylindres en ligne et de l’assistance hydraulique au freinage. Malheureusement, la marque Rickenbacker fut déclarée en faillite en 1927. Le danois Jörgen Skafte Rasmussen (1878-1964), propriétaire de DKW et d’Audi, traversa l’océan Atlantique pour acheter les machines-outils, le droit de produire le 6 cylindres de 3874cm3 et le 8 cylindres de 5166cm3 pour motoriser respectivement l’Audi Typ T et l’Audi Typ SS. Aujourd’hui, les Northern, Wayne, De Luxe, EMF, Flanders, Everitt, King et Rickenbacker sont extrêmement recherchées par les passionnés et collectionneurs états-uniens.

Tableau n°3 Studebaker

Les Studebaker thermiques d’avant la Seconde Guerre mondiale

En 1913, Studebaker produisit et vendit l’EMF 30 et la Flanders 20 sous son nom. Elles étaient équipées d’une boîte à vitesses 3 rapports, une constante chez ce constructeur. Elles furent remplacées rapidement par de nouvelles 4 cylindres et complétées par des 6 cylindres. Embauché en 1911, Albert Russel Erskine (1871-1933) devint président de Studebaker en 1915. En 1919, il programma l’arrêt de la production des charriots hippomobiles pour 1920, arrêta la fabrication des automobiles munies d’un 4 cylindres, réalisa à nouveau des camions, transféra la majorité des machines-outils de Detroit vers South Bend dans l’Indiana entre 1919 et 1926. Des châssis de véhicules utilitaires avaient néanmoins été réalisés en 1911 sous la marque Studebaker-Garford. Au Salon de l’automobile de Paris de 1924, Albert Russel Erskine constata que sur 123 marques présentes, seules 12 étaient américaines, dont Studebaker. Au Salon de l’automobile de Londres, il constata que sur 134 marques présentes, seules 23 étaient américaines, dont Studebaker. En 1926, ses voitures adoptèrent les freins sur les 4 roues. En 1927, il présenta une sous-marque, Erskine, et une voiture destinée au marché européen : un 6 cylindres de 2394 cm3 (pour éviter les fortes taxations) développant 40ch à 3000tr/mn et reposant sur un châssis d’un empattement modeste de 2,72 m. Des publicités apparurent en Asie, en Afrique, en Australie, en Amérique du Sud et, bien naturellement, en Amérique du Nord et en Europe. Le slogan était « See the car all Europe has approved ». Cependant, l’enregistrement des commandes fut modéré et cette voiture évolua pour répondre aux besoins de la clientèle états-unienne. Après une fabrication de 95104 exemplaires, elle porta le sigle de la maison mère à partir de 1930.

En 1928, Studebaker lança sa gamme équipée d’un 8 cylindres en ligne et prit le contrôle de la noble maison Pierce-Arrow. En plus de son travail, Albert Russel Erskine siégea au conseil d’administration de l’Université de Notre-Dame-du-Lac située à South Bend. Knute Kenneth Rockne (1888-1931) fut l’entraîneur de l’équipe de football américain de ladite université. Il remporta pendant 13 saisons plus de 100 victoires et 3 titres de championnats nationaux. Le 31 mars 1931, 12 jours après avoir été nommé directeur de la promotion des ventes, Knute Kenneth Rockne fut victime d’un accident d’avion. En 1932, voulant lui rendre hommage, Albert Russel Erskine présenta la sous-marque Rockne. Pendant la Grande Dépression, Studebaker continua à verser des dividendes totalement en inéquation avec les bénéfices réalisés créant une bulle spéculative. Lorsqu’elle explosa, ruiné, Albert Russel Erskine se suicida le 1er juillet 1933. Ses proches collaborateurs, Harold Sines Vance (1889-1959) et Paul Gray Hoffman (1891-1974), reprirent le flambeau, abandonnèrent l’enseigne Rockne, vendirent à des investisseurs Pierce-Arrow et bénéficièrent de l’aide substantielle de la banque Lehman Brothers. Les freins assistés hydrauliquement et les roues avant indépendantes furent adoptés respectivement en 1934 et 1941.

L’important changement mis en œuvre par la firme de South Bend, résida dans le fait qu’elle fît appel à des designers :

  • Helen Dryden (1882-1972) qui conçut les intérieurs entre 1935 et 1938.
  • Raymond Loewy (1893-1986) qui débuta sa collaboration en 1935. Elle se poursuivit jusqu’à l’avènement de la Studebaker Avanti.
  • Virgil Max Exner (1909-1973) qui travailla chez Loewy & Associates entre 1938 et 1944, chez Studebaker entre 1944 et 1947, puis chez Chrysler.
  • Robert Bourke (1916-1996), embauché par Virgil Exner, qui exerça ses talents pour Studebaker entre 1940 et 1955 avant de créer son bureau de design.

Une nouvelle aventure stylistique pouvait commencer.

Le 22 février 1942, les constructeurs états-uniens durent mettre fin à la production des automobiles pour se consacrer à l’effort de guerre. Studebaker fut un important constructeur états-unien : 3ème en 1913 et 1914, 6ème en 1915, 7ème en 1916 et 1917, 6ème en 1920, 5ème en 1921 et 1922, 7ème en 1923, 8ème en 1924, 7ème en 1925, 4ème en 1930 et 1931, 7ème en 1933, 8ème en 1939, 1940 et 1942. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la société engrangea d’énormes profits en produisant 260 000 camions (ou 290 000 selon les sources), 64000 moteurs d’avions, 15000 engins amphibies à chenilles Weasel.

Article co-écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’Archives

https://absolutelycars.fr/culture-automobile/studebaker-partie-2-2/


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