Spyker, l’histoire d’un phénix hollandais

En janvier 2021, la marque automobile Spyker déposait son bilan. Notre phœnix disparaissait à nouveau… laissant derrière des modèles extraordinaires et une image liée à tout jamais au film Basic Instinct 2. Ce thriller érotique britannico-germano-hispano-américain fut réalisé par Michael Caton-Jones (1957-….) et sortit en salles en 2006. Dans quelques pays, il reçut des restrictions d’accès en salles : aux Etats-Unis, les adolescents de moins de 17 ans devaient être accompagnés d’un adulte, en France, il fut interdit aux moins de 12 ans, au Royaume-Uni et en Espagne, au moins de 18 ans et en Allemagne, au moins de 16 ans. Pour ce film, il fallait une voiture aussi sulfureuse, sportive et magnifique à la fois… une supercar qui ferait rêver… Le modèle retenu fut la Spyker C8 Laviolette, conduite par Sharon Stone. ABSOLUTELY CARS revient, à l’occasion de son mois du cinéma, sur l’histoire de Spyker.

Le film Basic Instinct 2

Le film Basic Instinct 2 était la suite tardive du premier opus sorti en salles en 1993, réalisé par Paul Verhoeven (1938-….). Dans ce premier film, Catherine Tramell, rôle joué par Sharon Stone (1958-….), une romancière belle, mystérieuse, à succès, est soupçonnée du meurtre de son amant, la rock star Johnny Boz, assassiné à coups de pic à glace dans des circonstances similaires à celles décrites dans l’un de ses romans policiers. L’inspecteur Nick Curran, rôle joué par Michael Douglas (1944-….), mène l’enquête où meurtres et criminels potentiels se multiplient. Pour ce film, Sharon Stone obtint, en 1993, le MTV Movie Award de la meilleure performance féminine et le MTV Movie Award de la femme la plus désirable. Pour le second film, le synopsis est similaire si ce n’est que son partenaire n’est plus un inspecteur, mais le Docteur psychanalyste Michael Glass, rôle joué par David Morrissey (1964-….). La dernière scène pose une question ouverte : qui a perpétué tous les meurtres égrainés dans le film ? Catherine Tramell ou l’inspecteur Roy Washburn, rôle joué par David Thewlis (1963-….), ou le Docteur psychanalyste Michael Glass ?

Pour tourner la première scène du second opus, le constructeur hollandais Spyker mit à disposition quatre voitures, mais seulement deux étaient des vraies automobiles, les deux autres étaient des coquilles vides destinées à être détruites. Le film fut tourné à Londres. Le cabinet du Docteur Glass était situé dans un immeuble en forme de fuseau, Le Gherkin, construit au cœur de la City par l’architecte Norman Foster. Il est implanté dans le même quartier que la cathédrale Saint-Paul. Les images du film sont saisissantes par les contrastes engendrés entre les matériaux traditionnels de la cathédrale et les immeubles environnants aux façades de verre. Elles renvoient inexorablement au coupé Spyker C8 Laviolette conduite par Sharon Stone, mêlant modernité et tradition : carrosserie contemporaine en aluminium et grandes surfaces vitrées, intérieur en cuir matelassé avec tableau de bord en aluminium bouchonné.

Le début de Spyker : les Spyker-Trompenburg

Spyker était une marque extraordinaire. Elle exerça l’activité de constructeur d’automobiles de 1900 à 1926, puis de 2000 à 2013. Entre 1880 et 1903, Spyker se dénomma Spijker. L’entreprise fut fondée à Hilversum en Hollande par les frères Hendrik-Jan Spijker (1855-1907) et Jacobus Spijker (1858-1932). L’entreprise construisit tout d’abord des véhicules hippomobiles et notamment des carrosses dont le plus célèbre était le Golden State Coach livré à la famille royale en 1898. La même année, l’entreprise déménagea à Trompenburg et la réalisation de prototypes débuta. En 1900, commença la vente des automobiles avec la Spijker-Benz 3pk équipée d’un monocylindre Benz de 1054cm³ (110×110) développant 3ch à 700tr/mn accouplé à une boîte à vitesses 3 rapports permettant une vitesse maximale de 25km/h. Elle resta disponible jusqu’en 1902. Elle fut complétée en 1900 par les provisoires Spijker-Benz 5pk (monocylindre Benz développant 5ch à 600tr/mn) et Spijker 5pk (bicylindre à plat American Duplex), en 1902 par l’éphémère Spijker 6pk (bicylindre en ligne maison refroidi par eau). Le succès ne fut pas au rendez-vous. Le 19 mai 1903, l’ingénieur belge Joseph Valentin Laviolette fut embauché pour renouveler la gamme. La Spijker 10/12 équipée d’un bicylindre fut fabriquée en 1903. La Spijker 20/24 munie d’un 4 cylindres fut assemblée de 1903 à 1904. La Spijker 36/50 équipée d’un 6 cylindres de 5073cm³ fut produite en 1903. Elles furent exportées au Royaume-Uni sous la marque Spyker, dénomination qui fut par la suite adoptée.

A partir de la Spijker 36/50, fut développée la Spyker 60pk ou 60hp. Elle fut équipée d’un 6 cylindres de 8686cm³ (120×130) muni de soupapes latérales, accouplé à une transmission intégrale et à une boîte à vitesses 3 rapports. Elle était équipée des freins sur les 4 roues. Sa vitesse maximale était de 75km/h. En 1904, sa puissance fut portée à 80ch pour une vitesse maximale de 100km/h. Elle ne connut pas de succès en compétition et elle fut disponible sur le marché jusqu’en 1905. La transmission intégrale fut proposée en option sur les 4 cylindres Spyker 25/36 (7964cm³) et Spyker 32/40 disponibles entre 1904 et 1905.

Des automobiles plus accessibles furent également proposées : les 4 cylindres Spyker 16/20 (1903-1907) dite « la chaudière » à cause de son refroidissement par eau insuffisant, Spyker 30/36 (1903-1907), Spyker 14/18 (1904-1907), Spyker 20/28 (1904-1907), Spyker 15/22 (1905-1907). La plus remarquable fut sans nul doute la Spyker 14/18 (2544cm³) atteignant une vitesse maximale de 60km/h, munie d’une boîte à vitesses 3 rapports et d’un châssis d’un empattement de 2,36m. En effet, elle finit seconde dans la célèbre course Pékin-Paris de 1907 derrière l’italienne Itala 35/45 équipée d’un 4 cylindres de 7433cm³ accouplé à une boîte à vitesses 4 rapports.

En 1907, la gamme fut totalement renouvelée avec les 4 cylindres Spyker 10/15 (1810cm³), Spyker 15/22 (2799cm³ au lieu de 3456cm³ pour la précédente génération), Spyker 20/30 (4562cm³), Spyker 30/42 (6902cm³) et Spyker 40/80 (10603cm³). Hendrik-Jan Spijker disparut le 21 février 1907 lors du naufrage du ferry-boat SS Berlin et son frère Jacobus se trouva désemparer. Seule la Spyker 15/22 continua à être fabriquée jusqu’en 1910. La firme fut déclarée en faillite en 1908, puis fut reprise par un groupe d’investisseurs qui évinça Jacobus Spijker. Joseph Valentin Laviolette dirigea alors la société. Une nouvelle gamme fut introduite en 1910 : les 4 cylindres Spyker 10/15 et Spyker 15/25 sous la forme de véhicules commerciaux disponibles entre 1910 et 1912, les 4 cylindres Spyker 12 (1910-1914), Spyker 16 (1910-1912), Spyker 18 (1910-1912), Spyker 25 avec 4589cm³ (1910-1912), Spyker 20 avec 3435cm³ (1912-1916), Spyker 30 avec 6082cm³ (1912-1916), Spyker 14 (1913-1916) et Spyker 12 avec 1795cm³ (1914-1916). Cette production fut coiffée par des automobiles équipées de 6 cylindres : la Spyker 25/30 avec 4199cm³ (1911-1912) et la Spyker 40 avec 7238cm³ (1912-1916).

Fin 1913, Joseph Valentin Laviolette quitta la société qui fut revendue en 1915. Un nouveau directeur fut alors nommé, l’aviateur Henri Wijnmalen (1889-1964) qui tint son poste jusqu’en 1922. La dénomination devint Usine néerlandaise d’automobiles et d’avions Trompenburg. La Hollande demeura neutre pendant la Première Guerre mondiale et la firme réalisa 200 moteurs d’avions et 100 aéroplanes pour l’armée néerlandaise sous les noms de Spyker-Trompenburg V.1, V.2 et V.3. En 1918, le logo devint une hélice superposée à une roue, représentant la construction des voitures et des avions avec pour slogan Nulla tenaci invia est via (Pour les persistants, aucune route n’est impraticable).

En 1916, l’intégralité de la gamme fut remplacée par deux modèles, le châssis Spyker C2 disponible jusqu’en 1926 destiné aux camions et autobus, équipé d’un 4 cylindres Continental de 4607cm³, et la Spyker C1 13/30pk dénommée également Spyker C1 13/34pk entre 1920 et 1921. Le moteur 4 cylindres de cette dernière présentait la particularité d’être équipé de 3 soupapes par cylindre. Entre 1920 et 1926, fut proposée la Spyker C4 30/40pk équipée d’un 6 cylindres réalisé par Maybach ce qui encouragea ce fournisseur à devenir constructeur d’automobiles à son tour. Entre 1921 et 1922, fut importée la voiture française Mathis SB vendue sous la dénomination Spyker-Mathis 10pk.

En 1922, la société fut de nouveau en faillite et un distributeur britannique la reprit et la rebaptisa Spyker Automobielfabriek. Selwyn Francis Edge (1868–1940), propriétaire d’AC Cars Limited, établit à Brooklands, à l’aide d’une Spyker 30/40, un nouveau record du monde « Double 12 » couvrant 1782 milles (2869 km) à une vitesse moyenne de 119,53km/h pour l’ensemble des 24 heures constitué par deux étapes de 12 heures. La Spyker C4 30/40pk fut modernisée en adoptant les freins sur les 4 roues. Environ 2000 automobiles furent assemblées à Trompenburg jusqu’en 1926, année de l’arrêt définitif de la production.

2000 : le revival de Spyker

Maarten de Bruijn (1965-….), designer néerlandais, conçut un prototype roulant équipé d’un V8 Audi accouplé à une boîte à vitesses 5 rapports. Il acheta les droits de la marque et du logo Spyker. Il exposa la Spyker Silvestris V8 au Goodwood Festival of Speed 1999. Elle était déjà munie de portes « coléoptère ». Le dirigeant de la ligne de vêtements McGregor Fashion Group, Victor Muller (1959-….) fut impressionné et s’associa à Maarten de Bruijn pour créer Spyker Cars à Zeewolde. La première voiture, la Spyker C8 Spyder, équipé d’un V8 Audi, d’une boîte à vitesses 6 rapports, d’une carrosserie en aluminium, fit ses débuts au Salon de l’automobile de Birmingham en 2000. La gamme fut étendue à l’aide du coupé Spyker C8 Laviolette en 2001, du coupé Spyker C8 Double 12S en 2002 en utilisant pour ce modèle un V8 BMW, du coupé Spyker C8 Laviolette LWB en 2008. Entre temps, le Spyder C8 Spyder T fut proposé avec un V8 biturbo de 2003 à 2007. La gamme fut remplacée par le coupé Spyker C8 Aileron en 2009. Son V8 pouvait être accouplé à une boîte manuelle ou automatique 6 rapports. Présenté au Concours d’élégance de Pebble Beach en 2009, la Spyker C8 Aileron Spyder entra en production en 2010. Les dénominations des modèles étaient choisies pour rendre hommage au passé glorieux de la marque.

Pour faire connaître la marque, une Spyker C8 Double 12R fut engagée aux 24 Heures du Mans en 2002. Elle abandonna au 15ème tour. En 2003, elle fut non classée, car sa distance parcourue était insuffisante. En 2005, la Spyker C8 Spyder GT2-R, équipée d’une boîte à vitesses 5 rapports, une exception pour la marque, abandonna au 76ème tour. En 2006, leurs participations aux 24 Heures du Mans se solderont par deux abandons aux 40ème et 202ème tour, ainsi qu’en 2007, avec deux abandons aux 70ème et 145ème tour. En 2008, les Spyker C8 Laviolette abandonnèrent au 43ème et 72ème tour. En 2009, la seule engagée finit 25ème et en 2010, la seule engagée finit 27ème. En formule 1, Spyker acheta le 9 septembre 2006 l’équipe Jordan / Midland pour un montant de 106,6 millions de dollars. En cours de la saison 2007, l’équipe Spyker F1 ne marqua qu’un point. Le 29 septembre 2007, le consortium Orange India Holdings acheta l’écurie pour un montant de 88 millions de dollars.

La firme réalisa également de nombreux prototypes sans suite industrielle concrète : le SUV Spyker D8/D12 Peking to Paris en 2006, le spyder Spyker C12 La Turbie en 2006, le magnifique coupé Spyker C12 Zagato en 2007, les coupé et spyder Spyker B6 Venator en 2013, le coupé Spyker C8 Preliator en 2016 et le spyder Spyker C8 Preliator en 2017.

De 2010 à 2012, Spyker détint le constructeur suédois Saab. Néanmoins, le consortium sino-suédois National Electric Vehicle Sweden AB (NEVS) se porta finalement acquéreur de la filiale de General Motors. Des indemnités compensatoires furent demandées sans pour cela qu’elles aboutissent en faveur de Spyker. En janvier 2021, la firme déposait son bilan.

Le parallèle est tentant avec le film Basic Instinct 2 et Spyker. Qui a perpétué tous les meurtres égrainés dans le film, Catherine Tramell ou l’inspecteur Roy Washburn ou le Docteur psychanalyste Michael Glass ? Quelle est la cause de la faillite de Spyker : l’engagement onéreux en compétition ou la réalisation de nombreux concept-cars ou la tentative d’absorption de Saab ?

Entre 2000 et 2013, environ 380 Spyker furent assemblées. Elles demeureront à tout jamais attachantes.

Article co-écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives

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