Rosengart, la rose tricolore

Certaines marques sont indéniablement liées à leur créateur, sans lequel elles ne peuvent survivre. C’est le cas de la marque française Rosengart. Née de la volonté d’un seul homme, Lucien Rosengart, elle sera profondément marquée dans son ADN par la clairvoyance, l’obstination et la modernité de son créateur. Il en résultera des voitures extrêmement fiables et économiques qui donneront par la suite l’identité de ce constructeur. Il faut dire que l’industriel français, “touche à tout” et visionnaire, a toujours su mener sa barque dans une industrie automobile des plus mouvementées. De l’achat de la licence de l’Austin Seven au Plan Pons, ABSOLUTELY CARS vous propose de revenir sur l’œuvre de ce “self-made-man” et sur la marque portant son patronyme.

Rosengart, une histoire de rencontres

Lucien Rosengart, un véritable self-made-man

Lucien Rosengart (1881-1976) fut souvent présenté comme l’inventeur du baby-foot. Si cette légende fait sourire, il n’en reste qu’il fut l’un des plus grands constructeurs d’automobiles français et un industriel de renom. Après des études en mécanique, il ouvrit un atelier de production de vis, écrous et rondelles à Belleville. Pendant la Première Guerre mondiale, il ouvrit deux usines, l’une à Paris, l’autre à Saint-Brieuc, qui fabriquèrent des fusées pour obus. Fin 1919, il créa un organisme financier pour sauver la nouvelle entreprise Citroën, la Société Auxiliaire De l’Industrie française (SADI). En 1923, il vint renforcer l’équipe de la société Peugeot, notamment en matière financière, cette dernière ayant acheté en 1925 l’usine Bellanger, un constructeur d’automobiles implanté à Neuilly qui exerça de 1913 à 1925. En 1927, il racheta cette usine pour produire des Austin Seven. La marque Rosengart venait de naître ! Ainsi, en ce début des années 1920, cet homme sauva deux des trois constructeurs généralistes français encore en activité aujourd’hui. Il faut savoir qu’en ce temps-là, l’industrie automobile française traversait une crise intense directement liée au surplus militaire bradé et illustré par l’affaire Seznec.

Jules Salomon, le complice de Lucien Rosengart

Jules Salomon (1873-1963), le complice de Lucien Rosengart et un curieux personnage. L’industrie automobile française lui doit beaucoup et pourtant, il n’aimait pas conduire les voitures… Jeune diplômé de l’École de commerce et d’industrie de Bordeaux, il commença sa carrière dans les Établissements Rouart Frères, spécialisés dans la fabrication de moteurs. Il fréquenta alors Alphonse Eugène Beau, dit Beau de Rochas (1815-1893) qui définit le cycle à quatre temps dans une brochure à diffusion privée, mais déposée en 1862. Jules Salomon travailla ensuite avec Georges Richard (1863-1922), le suivit pour créer UNIC en 1905 avec le Baron Henri James Nathaniel Charles de Rothschild (1872-1947). Il fonda en 1909 la marque automobile Le Zèbre avec Jacques Bizet (1872-1922), fils du compositeur Georges Bizet. En 1917, il entra chez Citroën et conçut la Citroën Type A, puis les types Citroën B2/B10/B12 et C. En 1926, il fut embauché en tant qu’ingénieur chez Peugeot. Ensuite, il œuvra pour Lucien Rosengart de 1928 à 1939. Il avait alors comme charge la production des automobiles et l’amélioration continue.

Les Rosengart, des voitures en adéquation avec leur temps

L’amélioration continue des modèles Rosengart basés sur l’Austin Seven

La première voiture Rosengart était très proche de l’Austin Seven, mais elle se bonifia d’année en année. Ces automobiles étaient économiques et fiables, une réputation qui fit l’image de marque de ces voitures françaises. De 1932 à 1939, une variante reçut un 6 cylindres. Les roues avant devinrent indépendantes en 1939.

ROSENGART LR64, une 6 cylindres
ROSENGART LR64, une 6 cylindres

1930 : proposer une gamme complémentaire avec, comme transmission, la traction

Dès le début des années 1930, Lucien Rosengart voulut acquérir une licence de fabrication d’automobiles équipées d’une transmission aux roues avant pour compléter sa gamme basée sur l’Austin Seven. Quelles furent les opportunités ?

Avant la Première Guerre mondiale, épisodiquement, des tractions furent fabriquées : le chariot à vapeur de Cugnot (1770), les Krieger électriques (1898-1909), les Lohner-Porsche électriques (1900-1905), l’Iden 12 de 1908… Après la Première Guerre mondiale, en France, les frères Paul-Albert Bucciali (1889-1981) et Angelo Bucciali (1891-1946)  débutèrent la fabrication des tractions Bucciali en 1926, tandis que Jean-Albert Grégoire (1899-1992) et Pierre Fenaille (1888-1937) commencèrent la production de tractions Tracta en 1927. Au Royaume-Uni, Alvis fabriqua des tractions de 1928 à 1930. Aux Etats-Unis, Errett Lobban Cord (1894-1974) construisit des tractions Cord de 1929 à 1932, puis de 1936 à 1937. La New Era Motors Incorporated présenta, en 1929, la traction Ruxton, fabriquée de 1930 à 1931, dans les usines Moon Motor Car Company de Saint-Louis. En Allemagne, Stoewer produisit des tractions dès 1931. Le génial Jörgen Skafte Rasmussen (1878-1964) fabriqua des tractions DKW également dès 1931 (bicylindre 2 temps refroidi par eau transversal, 4 roues indépendantes, freins sur les 4 roues, DKW F1 réputée pour être la voiture la moins chère du monde grâce à sa carrosserie en contreplaqué revêtue de skaï).

Les tractions disponibles sur le marché mondial ne convenaient pas à Lucien Rosengart, car elles étaient soit, trop luxueuses, soit trop proches de ses voitures en termes de prix. Seules les Stoewer lui plaisaient, mais les coûts de fabrication envisagés lui paraissaient trop importants.

En 1932, le constructeur allemand Adler présenta le modèle Trumpf. La traction Adler Trumpf, conçue par Hans Gustav Röhr (1895-1937), était équipée de 4 roues indépendantes et de freins hydrauliques. Admiratif, notre homme acheta une licence de fabrication et une voiture qu’il fit essayer à son ami André Citroën. Enthousiaste, ce dernier lança les études pour un véhicule encore plus performant. Flaminio Bertoni (1903-1964), embauché en 1932, eut en charge le design dont la caisse monocoque surbaissée prévue pour utiliser la technique de soudage Budd. André René Lefèbvre (1894-1964), embauché en mars 1933, transfuge de Renault, ex-collaborateur de Gabriel Voisin, eut en charge la partie mécanique : moteur équipé de soupapes en tête, transmission de la puissance aux roues avant, freins hydrauliques. Cette nouvelle et fantastique voiture fut présentée Place de l’Europe, à Paris le 18 avril 1934, après une gestation de seulement 18 mois. Il s’agissait de la Citroën Traction Avant. De son côté, Lucien Rosengart lança, le 12 décembre 1932, la Rosengart Super Traction, basée sur l’Adler Trumpf.

Lucien Rosengart et le Plan Pons

A la libération, les matières premières et énergies furent sous contrôle des ministères, au point de donner aux administrations un poids très important sur les entreprises. Paul-Marie Pons (1904-1962), directeur adjoint des industries mécaniques et électriques au ministère de la Production industrielle, qui visiblement ne croyait pas en l’initiative privée, mit en place un important plan quinquennal qui fut un tournant pour l’industrie automobile française. L’État ne se contenta pas de fixer les prix et les salaires : il attribua, à chaque constructeur, la fabrication d’une catégorie de véhicules selon les matières premières disponibles et accordées. Citroën devait fabriquer uniquement des voitures haut de gammes destinées à l’élite du pays, la Citroën Traction Avant devenant ainsi la voiture la plus vendue en France en 1947 et 1948. Peugeot devait construire uniquement des automobiles milieu de gamme destinées à la petite bourgeoisie et la Régie Renault, uniquement des voitures bas de gammes destinées au peuple.

La société Générale Française de construction Automobile (GFA), créée en 1941, regroupant les marques Delahaye-Delage, Laffly, Unic, La Licorne, Latil, Saurer et Hotchkiss, puis en 1943, Delahaye-Delage, Laffly, Unic, Bernard et Simca manifesta son mécontentement. De l’acier lui fut finalement attribué ce qui sauva la récente société Simca. Les autres constructeurs durent se débrouiller, Panhard adoptant la carrosserie en aluminium reposant sur un châssis en acier. Ils dépensèrent énormément d’énergie, de ressources humaines et financières. Ils étaient condamnés à termes, car ils n’investissaient plus en Recherche et Développement, ni dans les machines-outils.

Lucien Rosengart fit des démarches pour démontrer que la Rosengart Super Trahuit – issue de la Rosengart Super Traction LR539, mais équipée d’un V8 Mercury – pouvait rapporter des devises en étant exportée aux Etats-Unis et en prenant la place laissée vacante par la CORD. Il n’eut gain de cause. L’usine vécut alors essentiellement de travaux de sous-traitance notamment pour Ford S.A.F.

C’est Citroën qui mit à mal le Plan Pons, le 7 octobre 1948, en présentant le bijou, la Citroën 2CV, conçue par les deux compères André René Lefèbvre et Flaminio Bertoni. Une véritable merveille de technique : traction, bicylindre à plat refroidi par air, boîte à vitesses 4 rapports à embrayage centrifuge, 4 roues indépendantes, freins hydrauliques sur les 4 roues. Son prix d’acquisition, sa fiabilité et sa maniabilité étaient ses trois atouts. Les motocyclistes purent enfin s’offrir une automobile en gardant éventuellement leurs motocyclettes en tant qu’objet de passion. La Régie Renault rétorqua fin 1950 avec la jolie Renault Frégate, sous-motorisée lors de son lancement.

Le revival de Rosengart

Rosengart est mis à mal par la Seconde Guerre mondiale et ce qui s’en suit. Lucien Rosengart vendra sa marque à la Société Industrielle de l’Ouest Parisien. Ils relanceront la production des automobiles en 1950 en ré-exploitant derechef l’Austin Seven comme base. Elles adoptèrent les freins hydrauliques en 1951. Néanmoins, la société disparut en 1954, ces voitures ne présentant aucun avantage technique ou financier par rapport à la concurrence.

Article écrit par : ABSOLUTELY CARS & CARDO
Crédit Photos : ABSOLUTELY CARS & Photos d’archives

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